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« Il est impossible, Thébains, que l’on vous brave, quand on sait que vous avez tout pouvoir pour traiter l’insulteur comme bon vous semblera. Quel est donc le sentiment de confiance qui a pu me porter à tuer ici cet homme ? C’est, sachez-le bien, la conviction que d’abord j’agissais justement, et qu’ensuite vous jugeriez mon action comme elle le mérite. Je savais, en effet, que vous n’aviez pas attendu un jugement à l’égard d’Archias et d’Hippatès, trouvés par vous coupables du même crime qu’Euphron. Vous les avez punis aussitôt que vous l’avez pu, convaincus que le monde entier prononcerait la sentence contre ceux qui ne cherchent point à cacher leur impiété, leur trahison et leur désir de s’emparer de la tyrannie. Eh bien ! Euphron ne s’est-il donc pas rendu coupable de tous ces crimes ? Après avoir trouvé le trésor sacré rempli d’offrandes d’or et d’argent, il l’a laissé entièrement vide. Qui pourrait s’être montré plus évidemment traître qu’Euphron, lui qui, lié d’une étroite amitié avec les Lacédémoniens, les a abandonnés pour vous, et qui, après avoir échangé avec vous des gages de fidélité, vous a de nouveau trahis, et a livré le port à vos ennemis ? Et sous quel prétexte nier qu’il fût tyran ? lui qui réduisait en servitude non-seulement des gens libres, mais des citoyens mêmes ; lui qui ne cessait de tuer, de bannir, de dépouiller de leurs biens, non des coupables, mais ceux qu’il lui plaisait. Or, c’étaient les meilleurs citoyens. Ensuite il se réunit aux Athéniens, vos plus cruels ennemis ; il rentre dans Sicyone, il porte les armes contre l’harmoste établi par vous ; n’ayant pu le chasser de l’acropole, il ramasse de l’argent et vient ici. Je sais bien que, s’il avait ouvertement levé des troupes contre vous, vous m’auriez de la reconnaissance de l’avoir tué ; mais comment alors y aurait-il équité de votre part de me punir de mort, pour avoir fait justice d’un homme arrivant avec de l’argent amassé dans l’intention de vous corrompre et de vous persuader de le rétablir comme souverain de la patrie ? En effet, ceux contre lesquels on emploie la force des armes, éprouvent un malheur sans cependant paraître criminels, tandis que ceux qui se laissent entraîner par l’argent à violer la justice tombent dans le malheur et se couvrent de honte.

« Si pourtant Euphron avait été mon ennemi personnel et votre ami, je conviens moi-même qu’il n’aurait pas été bien de ma part de le tuer chez vous ; mais une fois qu’il vous avait trahis, comment serait-il moins votre ennemi que le