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d’Hector et d’Andromaque au sixième chant de l’Iliade et l’autre dans la tragédie d’Alceste, les douces effusions de la tendresse conjugale, la sensibilité aimante et dévouée, se faisant forte et héroïque jusqu’à vouloir mourir, ne se produisent nulle part chez les prosateurs. Xénophon a le mérite d’avoir, à diverses reprises, exposé avec une grâce infinie, un charme exquis, et dont il paraît avoir seul le secret, ces sentiments purs et délicats de l’amour dans le mariage. Nous avons vu tout ce qu’il y a de ravissant dans l’entretien d’Ischomachus avec sa jeune femme. Où trouver un fait plus touchant que celui-ci ? Xénophon suppose que Tigrane, fils du roi d’Arménie, fait prisonnier avec sa femme, a dit à Cyrus qu’il donnerait sa vie pour épargner l’esclavage à sa femme : Cyrus a renvoyé ses captifs sans rançon. « Après leur entretien, dit Xénophon, et les marques d’amitié, suites naturelles d’une réconciliation, ils montent sur leurs chariots avec leurs femmes et s’en retournent la joie dans le cœur. Arrivés à leur demeure, ils ne parlent que de Cyrus : l’un vante sa sagesse, l’autre sa valeur ; celui-ci sa douceur, celui-là sa beauté et sa taille. Là-dessus, Tigrane dit à sa femme : « Et toi, Arménienne, Cyrus t’a-t-il semblé beau ? — Mais, par Jupiter, je ne l’ai point regardé. — Et qui regardais-tu ? dit Tigrane. — Par Jupiter, celui qui disait qu’il vendrait sa vie pour m’empêcher d’être esclave ! » « Ce dernier trait, dit M. Adolphe Garnier, est plein de grâce, et le roman moderne n’a rien inventé de plus délicat et de plus tendre, surtout entre mari et femme. »

Il en est de même de l’amour d’Abradatas et de Panthéa : leur séparation, leurs adieux sont un chef-d’œuvre de sensibilité vive et profonde. Xénophon avait aimé. Mais c’est surtout lorsque le cadavre d’Abradatas, tué glorieusement dans la bataille livrée à Crésus, est rapporté à sa femme, que la scène devient pathétique, déchirante jusqu’à paraître réelle et vraie.

« Dès que Cyrus aperçoit Panthéa, assise à terre et le corps de son mari gisant devant elle, il fond en larmes, et dit avec douleur : « Hélas ! âme bonne et fidèle, tu es