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de Mandane, le conquérant dont parlent Hérodote et Ctésias. Les doutes de Cicéron, d’Aulu-Gelle, d’Ausone, de Vivès, de Scaliger et d’Érasme sur la réalité de la Cyropédie, ont été confirmés par la science de Fréret et par le bon sens érudit de l’abbé Fraguier. Cyrus n’est plus ce vainqueur étonnant, rapide, impétueux, qu’admirent Bossuet et Rollin, ni ce guerrier sauvage plein de passions et de vices, emporté par l’ambition, la cupidité, la violence, l’injustice, la colère, tel que nous le représentent les historiens grecs ; c’est un modèle de désintéressement, de justice, de douceur et d’humanité. Fréret fait observer avec une grande justesse que « Xénophon, instruit des vrais principes de la morale, et jugeant des actions des princes, non par les maximes de la politique et par ce qu’on appelle raison d’État, mais par les principes de l’équité naturelle, qui décide du mérite et des actions des hommes, sans aucun égard pour les conditions, aime mieux manquer, dans son livre, à la vérité de l’histoire qu’aux principes de la morale. » L’abbé Fraguier va plus loin : à ses yeux, la Cyropédie est une œuvre dans le genre de Télémaque. Cette observation, reproduite et développée depuis avec une rare élégance d’expression par M. Villemain, caractérise parfaitement l’œuvre de l’écrivain grec. C’est bien une épopée didactique et morale, un livre d’enseignement où se donnent rendez-vous et se fondent dans un ensemble harmonieux et attrayant tous les préceptes, toutes les théories, toutes les doctrines de Socrate, tirées du domaine de l’abstraction et produites au jour lumineux et perceptible de la réalité. L’esprit de Socrate y vit, y respire, y domine partout : je retrouve à chaque pas, presque à chaque phrase, sa rectitude de jugement, sa droiture de cœur, les grâces de son imagination, la gaieté doucement railleuse de sa parole. Oui, Cyrus, c’est Socrate qui agit et qui parle, et parfois aussi c’est Agésilas, c’est Xénophon lui-même, avec ses goûts, ses habitudes, ses occupations de chaque jour, ses plans de réforme économique et sociale.

Nous lisons dans la Retraite des Dix mille que Xénophon,