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crifient, les victimes sont telles que les devins déclarent qu’il vaut mieux quitter la place.

Ils s’éloignent donc tout d’abord, avec l’intention de fuir le territoire de Corinthe ; mais, persuadés par les prières de leurs amis, de leurs frères, de leurs mères accourues auprès d’eux, par les serments de plusieurs de ceux qui étaient au pouvoir, et qui leur garantissaient une entière sûreté, quelques-uns d’entre eux retournent dans leurs foyers. Puis, quand ils voient le pays gouverné par des tyrans, quand ils s’aperçoivent qu’on anéantit l’État en lui enlevant ses frontières, en ôtant à la patrie le nom de Corinthe pour lui donner celui d’Argos, et en imposant aux Corinthiens un gouvernement argien qui ne peut leur convenir et qui leur laisse chez eux moins de pouvoir qu’aux métèques, il y en a plusieurs qui pensent qu’on ne peut pas vivre ainsi. Essayer de refaire de Corinthe une patrie telle qu’elle était dès le principe, lui rendre la liberté, la purifier des massacres, la faire jouir d’une bonne législation, leur paraît une action méritoire. Ils pensent que, s’ils l’accomplissent, ils seront les sauveurs de leur patrie, et que, s’ils ne peuvent réussir, ils trouveront la mort la plus glorieuse, puisqu’ils auront ambitionné le plus grand et le plus beau des biens.

Deux hommes donc, Pasimélus et Alcimène, traversent le torrent, essayent d’arriver jusqu’au polémarque lacédémonien Praxitas, qui se trouvait avec sa garnison à Sicyone. Ils lui disent qu’ils pourront l’introduire dans l’enceinte des murs qui conduit au Léchéum[1]. Praxitas, qui les connaissait précédemment comme des hommes dignes de foi, croit à leur parole ; il s’arrange donc pour que la division qui doit quitter Sicyone y reste, et il fait ses préparatifs pour entrer dans la ville. Soit hasard, soit calcul, les deux hommes en question étaient de garde à la place où avait été dressé le trophée[2], lorsque Praxitas se présente à la tête de sa division, avec des Sicyoniens et tous les exilés corinthiens. Arrivé près des portes, il craint d’entrer sur-le-champ et veut envoyer d’abord un homme sûr pour examiner ce qui se passe à l’intérieur. Les deux hommes l’introduisent et lui montrent tout d’un air si naturel, qu’il revient en déclarant qu’il n’y a, comme ils l’assuraient, aucune ruse à redouter. Sur cette déclaration il entre[3]. Mais comme les

  1. Port de Corinthe.
  2. Voy. plus haut, à la fin du chapitre ii.
  3. Pour l’intelligence de ces divers mouvements, on fera bien de recourir, si l’on peut, à la carte dressée par Weiske dans son édition de Xénophon, t. IV, p. 189.