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pour tous ; la forme du récit est agréable, charmante, persuasive, remplie de vraisemblance, de grâce et de vivacité ; ce n’est pas seulement de la force, c’est de la magie. Lisez avec attention le livre de l’Anabase : de tous les genres de discours que vous pourrez avoir à prononcer, vous n’en trouverez aucun qui n’y soit traité, qui ne puisse servir de règle à quiconque voudrait suivre et imiter ce modèle. Un homme public a-t-il besoin de rendre le courage à des esprits fortement abattus ? Xénophon lui en donne, à diverses reprises, le moyen et l’exemple. Est-il besoin d’exhortations, de consolations ? Il n’est pas un homme, comprenant le grec, qui restât insensible à celles qu’il emploie. Aussi mon âme s’émeut et quelquefois même je pleure, quand je lis les discours prononcés dans de si grandes circonstances. Faut-il parler avec prudence à des esprits arrogants et fiers, sans s’exposer à de mauvais traitements de la part d’hommes emportés, et sans se plier à une servitude honteuse, et condescendre en tout à leur volonté ? On en trouve encore chez lui des exemples. Le secret de s’adresser avec discrétion, soit aux chefs, loin de la foule, soit au gros de l’armée ; de tenir une sorte de langage royal ; de tromper ses ennemis pour leur faire du mal, et ses amis dans leur intérêt ; de dire la vérité d’une manière agréable et vraisemblable à des hommes effrayés sans motif ; de donner des conseils pour qu’on ne se fie pas à la légère aux paroles des puissants ; d’indiquer les moyens qu’ont les puissants pour en imposer, les stratagèmes à l’aide desquels on trompe à la guerre ou l’on se fait tromper : tout cela surabonde dans cette œuvre. Selon moi, les discours qu’il a mêlés à son récit ne lui ont pas été transmis par ouï-dire ; il ne les a pas inventés, mais il les a faits lui-même, il les a prononcés, et c’est ce qui leur donne un tel air de vérité dans tous ses ouvrages, et surtout dans celui que je viens de dire. Soyez donc sûr que vous ne vous repentirez jamais d’avoir lu Xénophon ; mais, soit au sénat, soit dans l’assemblée publique, vous le verrez venir vous tendre la main, si vous l’avez lu avec soin et avec zèle. »