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qu’un d’eux eut été tué ou blessé, « Si cela se fait, nous vous conduirons, avait-il dit ; la victoire vous arrivera sur nos pas, et à moi la mort, je le prévois. » C’était vrai. Les troupes ayant repris leurs armes, il s’élance le premier, comme emporté par la destinée, fond sur les ennemis, tombe et est enterré au passage du Céphise. Les autres sont vainqueurs et poursuivent jusqu’à la plaine. Deux des Trente, Critias et Hippomachus, sont tués, ainsi que Charmide, fils de Glaucus[1], un des dix commandants du Pirée, et environ soixante-dix de reste des troupes. Les vainqueurs s’emparent des armes, mais ils ne dépouillent aucun de leurs concitoyens de leurs tuniques. Cela fait, et les morts rendus en vertu d’une trêve, plusieurs s’abouchent les uns avec les autres. Cléocrite, héraut des mystes, qui avait une forte voix, commande le silence et dit : « Citoyens, pourquoi nous poursuivez-vous ? Pourquoi voulez-vous nous tuer ? Nous ne vous avons jamais fait de mal ; nous avons pris part avec vous aux services divins les plus solennels, aux sacrifices, aux fêtes les plus belles ; les mêmes chœurs, les mêmes écoles, les mêmes drapeaux, nous ont vus ensemble ; nous avons couru avec vous bien des dangers, et sur terre et sur mer, pour le salut commun et pour la liberté. Au nom des dieux paternels et maternels, de la parenté, des mariages, des amitiés, qui toutes sont communes à la plupart d’entre nous, respectez les dieux et les hommes, cessez de manquer à ce que vous devez à la patrie, n’obéissez plus à ces Trente, aux plus impies des hommes, qui, pour un intérêt particulier, ont fait périr en huit mois presque plus d’Athéniens que tous les Péloponésiens pendant dix années de guerre. Nous pouvions vivre en paix avec notre gouvernement, et ils ont allumé entre nous la guerre la plus déshonorante, la plus terrible, la plus impie, la plus odieuse aux dieux et aux hommes. Mais sachez-le bien pourtant, ce n’est pas vous seulement, c’est nous aussi qui, sur les cadavres de ceux qui sont morts aujourd’hui, avons versé plus d’une larme. »

Tel est son discours. Le reste des magistrats qui entendent répéter des propos semblables, ramènent les leurs dans la ville. Le lendemain, les Trente, tout à fait humiliés et abandonnés, viennent s’asseoir dans le conseil. Les trois mille, quelque place qu’ils occupent, se disputent entre eux. Tous ceux qui avaient commis quelque violence et qui craignaient pour eux-

  1. Il en a été question dans les Mémoires, III, vii.