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quand ils voient la ville soumise à la tyrannie d’un petit nombre. J’ai toujours cru que ce qui valait le mieux était de s’unir aux hommes puissants, et de les renforcer de chevaux et de boucliers, pour appuyer de ce côté le gouvernement, et je n’ai point aujourd’hui changé d’avis. Si tu peux dire, Critias, quand tu m’as vu, soit avec le peuple, soit avec la tyrannie, essayer d’enlever le gouvernement aux honnêtes gens, parle : car, si je suis convaincu soit de méditer aujourd’hui ce crime, soit de l’avoir accompli jadis, je conviens que je mérite de perdre la vie dans les derniers supplices. »

Quand il a fini, le conseil fait entendre un murmure de bienveillance, et Critias, comprenant que, s’il permet au conseil de prononcer sur le sort de Théramène, il va être absous, ce qu’il regarde comme intolérable, s’avance, confère un instant avec les Trente, sort et ordonne aux gens armés de poignards de venir se placer en face du conseil, auprès des barres, puis il rentre et dit. « Pour moi, conseillers, je crois que le devoir d’un bon prostate[1] est de ne point permettre, s’il s’en aperçoit, que ses amis soient trompés. C’est donc ce que je vais faire. Les gens qui sont debout devant vous déclarent qu’ils ne souffriront pas que nous relâchions un homme qui travaille ouvertement à renverser l’oligarchie. Les nouvelles lois portent qu’aucun citoyen du nombre des trois mille ne pourra subir la peine de mort sans votre approbation, mais que les Trente sont maîtres de condamner ceux qui ne sont pas sur la liste. D’accord avec tous mes collègues, j’efface de cette liste Théramène ici présent ; et, ajoute-t-il, nous le condamnons à mort. »

En entendant ces mots, Théramène s’élance vers l’autel de Vesta : « Et moi, citoyens, s’écrie-t-il, je vous supplie de m’accorder la plus légitime demande, c’est qu’il ne soit pas permis à Critias d’effacer ni moi, ni aucun de vous à son gré, mais qu’on nous juge, vous et moi, d’après la loi qui se rapporte aux gens inscrits sur la liste. Je n’ignore point, j’en atteste les dieux, que cet autel me sera inutile ; toutefois je veux dévoiler non-seulement l’injustice criante de ces gens-là envers les hommes, mais leur impiété sans bornes envers les dieux. Cependant, honnêtes citoyens, je m’étonne si vous ne vous secourez pas vous-mêmes, sachant bien que mon nom n’est pas plus difficile à effacer que celui de chacun de vous. »

Aussitôt le héraut des Trente ordonne aux Onze de se saisir

  1. Président.