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ce qu’il a fait là-bas ne pas se reproduire ici ! Je suis d’accord avec lui sur un point : c’est que quiconque veut vous renverser ou fortifier ceux qui vous dressent des piéges, mérite les plus grands châtiments, Mais il vous sera facile, je crois, de décider quel est celui qui se conduit ainsi, si vous réfléchissez à la conduite passée et actuelle de chacun de nous. Tant qu’on vous constituait en conseil, qu’on élisait des magistrats, qu’on citait en justice les sycophantes attitrés, nous étions tous du même sentiment. Mais quand on a commencé à arrêter des gens de bien, alors aussi j’ai commencé à penser autrement que mes collègues. Je savais que, si l’on faisait mourir, sans qu’il eût commis le moindre crime, un Léon de Salamine[1], regardé avec raison comme un homme de mérite, les gens qui lui ressemblaient en viendraient à craindre pour eux-mêmes, et que cette crainte en ferait des ennemis du gouvernement actuel. J’étais également convaincu que, si l’on arrêtait Nicératus, fils de Nicias, riche citoyen, qui n’avait jamais, ni lui, ni son père, rien fait pour plaire au peuple, les gens qui lui ressemblaient deviendraient nos ennemis. Et lorsque vous avez fait mourir Antiphon[2], qui, pendant la guerre, avait fourni deux trirèmes bien équipées, je savais bien que tous ceux qui avaient montré du zèle pour l’État, vous tiendraient en défiance. Je contredis la proposition de ceux qui voulaient que chacun se saisît d’un métèque : il était évident que, les premiers une fois mis à mort, tous les autres métèques deviendraient ennemis du gouvernement. Je m’opposai encore à ce qu’on fît enlever les armes du peuple, parce que je ne pensais pas qu’il fallût affaiblir la ville, convaincu que, si les Lacédémoniens nous avaient sauvés, ils n’avaient pas voulu que, réduits à un petit nombre, nous fussions hors d’état de les servir. Il leur était permis, s’ils s’étaient proposé ce but, de ne laisser vivre personne, en nous pressant plus longtemps par la famine. Je n’ai pas approuvé non plus la mesure d’avoir une garnison soldée, lorsqu’il nous était possible de nous adjoindre un certain nombre de citoyens, qui nous permissent, à nous gouvernants, d’être plus forts que les gouvernés. Or, comme je voyais dans la ville plusieurs personnes mal disposées envers les chefs, ainsi qu’un grand nombre d’exilés, il ne me paraissait pas non plus convenable de bannir Thrasybule, Anytus, Alcibiade, certain que l’opposition acquerrait une grande force, si des chefs habiles s’emparaient de la

  1. Cf. Mém., IV.
  2. Voy. Lysias, Contre Ératosthène, 17.