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que lui ne blâme ce qui se fait et ne s’oppose à nos plans, quand nous voulons nous débarrasser de quelque démagogue. S’il avait pensé de la sorte dès le début, il serait notre ennemi ; mais du moins on aurait tort de le considérer comme un pervers. Seulement, c’est lui qui, le premier, a traité de l’alliance avec Lacédémone, et qui a voulu renverser la démocratie ; c’est lui qui nous a le plus vivement engagés à punir les premiers accusés amenés devant nous ; et maintenant que nous sommes devenus, vous et nous, les ennemis déclarés du peuple, il n’approuve plus ce qui se fait, afin, sans doute, de se mettre lui-même à l’abri, et de nous laisser responsables de ce qui s’est passé.

« Aussi n’est-ce pas seulement comme un ennemi qu’il faut le punir, mais comme un traître envers vous et envers nous. Et certes la trahison est plus redoutable que la guerre : car, s’il est plus difficile de se garantir des coups invisibles que d’une attaque ouverte, cela n’en est aussi que plus odieux ; d’autant qu’on peut mieux traiter avec des ennemis et renouveler une alliance ; tandis que celui qu’on a reconnu traître, on ne peut plus à l’avenir négocier avec lui, ni avoir en lui la moindre confiance. Et afin que vous sachiez que sa manière d’agir actuelle n’est point nouvelle pour lui, mais qu’il est traître de sa nature, je vais vous rappeler son passé.

« Cet homme, honoré dans le principe par le peuple à cause de son père Hagnon, se montra des plus fougueux à livrer la démocratie aux mains des Quatre Cents, parmi lesquels il occupa le premier rang. Puis, s’étant aperçu qu’il s’était formé une opposition contre l’oligarchie, il fut encore le premier à se mettre à la tête du peuple contre ses anciens collègues. C’est de là qu’il a reçu le nom de cothurne[1], le cothurne s’ajustant également aux deux pieds et allant aussi bien à l’un qu’à l’autre. Il faut, Théramène, que l’homme qui est digne de vivre, ne mette pas son habileté à engager ses partisans dans des entreprises qu’il abandonne lui-même, dès qu’il se présente un obstacle : il est, en quelque sorte, sur un navire, il doit y travailler jusqu’à ce que souffle un vent favorable. Sans cela, comment arriverait-on où il faut, si, à chaque obstacle, on retournait en arrière ?

« Certainement, toutes les révolutions sont meurtrières, et toi-même, par ta facilité à changer de parti, tu t’es rendu complice

  1. Voy. pour ce surnom une note de M. Artaud sur un passage d’Aristophane dans notre traduction de Lucien, t. I, p. 562.