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toutes les troupes qu’ils souhaitent, ils ne se contentent plus de saisir les scélérats et les gens de rien, ils jettent en prison ceux qu’ils regardent comme les moins disposés à supporter des injustices et les plus capables de rassembler un grand nombre de partisans en cas de résistance.

Dans les premiers temps, Critias vivait en bonne intelligence avec Théramène ; ils étaient amis ; mais, comme Critias montrait une grande ardeur à faire périr beaucoup de citoyens, parce qu’il avait été jadis exilé par le peuple, Théramène s’y opposa en disant qu’il n’était pas juste de mettre à mort des hommes honorés du peuple, et qui ne s’étaient rendus coupables d’aucun crime envers les gens de bien, « Et moi aussi, ajouta-t-il, ainsi que toi, nous avons dit et fait bien des choses pour plaire au peuple. » Critias, qui était encore intime avec Théramène, lui répond qu’il n’est pas possible, si l’on veut avoir le dessus, de ne pas se débarrasser des gens capables de faire de l’opposition, « Si tu t’imagines que, parce que nous sommes trente et non pas un, nous n’avons pas à veiller sur notre pouvoir comme si c’était une tyrannie, tu es naïf. »

Cependant, la mort injuste de plusieurs citoyens en ayant engagé un grand nombre à se concerter au grand jour et à s’étonner de ce qu’allait être ce gouvernement, Théramène représente de nouveau que, si l’on ne s’adjoint des hommes versés dans les affaires, l’oligarchie ne pourra pas durer. Là-dessus Critias et le reste des Trente, redoutant dès ce moment l’influence de Théramène sur les autres citoyens, prêts à se grouper autour de lui, dressent une liste de trois mille hommes qu’ils associent aux affaires.

Théramène déclare encore, à ce sujet, qu’avant tout il est absurde, selon lui, puisqu’ils veulent s’associer tous les bons citoyens, d’en associer trois mille, comme si ce nombre devait nécessairement ne contenir que des gens de bien, comme s’il n’y avait pas encore des hommes zélés en dehors de ces trois mille, comme s’il n’y avait pas des méchants dans ce nombre. « Ensuite, ajouta-t-il, je vous vois faire deux choses parfaitement opposées : vous établissez un gouvernement violent, et il est plus faible que les gouvernés. » Voilà ce qu’il dit. Mais les Trente font une revue des trois mille sur l’agora, ceux qui étaient hors de la liste ayant été convoqués dans un autre endroit ; puis ils ordonnent à ceux-ci d’aller chercher leurs armes, et, quand ils sont partis, les Trente envoient leurs gardes et les citoyens de leur parti pour saisir toutes les armes,