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mort de la plupart des oligarques immolés par le peuple, et d’un plus grand nombre de démocrates condamnés par l’aristocratie… Un homme que nous voyons uniquement occupé à satisfaire son ambition, sans se soucier de l’honneur ni de ses amis, comment pourriez-vous l’épargner ?… S’il échappe, il augmentera le nombre et l’audace de vos adversaires ; tandis que, s’il périt, tous ceux qui sont dans la ville ou au dehors verront trancher leurs espérances. »

Cette attaque, si directe, si brusque, ne trouve pas Théramène au dépourvu. Rompu à toutes les souplesses de la vie diplomatique, aussi bien qu’aux luttes de la tribune, il s’apprête à défendre énergiquement sa vie, discute avec une grande habileté toutes les charges entassées contre lui par son accusateur, et s’étudie à faire retomber sur Critias tout l’odieux du redoutable système qu’il a pratiqué jadis, mais que maintenant il répudie ; puis, arrivant aux questions toutes personnelles : « Tu m’appelles Cothurne, s’écrie-t-il, sous prétexte que j’essaye de m’ajuster aux deux partis ; mais celui qui ne s’attache à aucun, celui-là, au nom des dieux, comment faut-il l’appeler ? Or, sous la démocratie, on te regardait comme le plus grand ennemi du peuple ; et maintenant, sous l’aristocratie, tu es devenu le plus terrible adversaire des honnêtes gens. Quant à moi, Critias, je fais une guerre continuelle à ceux qui croient que la démocratie n’est vraiment bonne que quand les esclaves et ceux qui, par pauvreté, vendraient l’État pour une drachme, prennent part au pouvoir, et je combats sans relâche ceux qui croient qu’il ne peut y avoir d’oligarchie véritablement bonne que quand ils voient la ville soumise à la tyrannie d’un petit nombre… Si tu peux dire, Critias, quand tu m’as vu, soit avec le peuple, soit avec la tyrannie, essayer d’enlever le gouvernement aux honnêtes gens, parle ; car si j’étais convaincu, soit de méditer aujourd’hui ce crime, soit de l’avoir accompli jadis, je conviens que je mérite de perdre la vie dans les derniers supplices. »

Ces paroles, pleines d’adresse et de vigueur, font effet sur le conseil. Critias, craignant que Théramène ne soit