Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissent les confier à d’autres et s’absenter. Ils auraient à craindre d’être privés de ce pouvoir et mis hors d’état de se venger de ceux qui les en auraient dépouillés. Tu me diras peut-être que ces sortes de plaisirs vont les trouver dans l’intérieur de leurs palais. Oui, Simonide, mais quelques-uns seulement de ces nombreux spectacles ; et ces plaisirs, tels quels, on les vend si cher aux tyrans, que ceux qui leur font voir la moindre des choses ont la prétention de recevoir d’eux en les quittant beaucoup plus en quelques instants que de tous les autres hommes dans le reste de leur vie. — Eh bien, reprit Simonide, si vous êtes mal partagés pour la vue, vous avez l’avantage du côté de l’ouïe, puisque la musique la plus douce, la louange, ne vous fait jamais défaut. Tous ceux qui vous entourent louent tout ce que vous dites, tout ce que vous faites : au contraire, ce qui s’entend avec peine, les censures, vous n’en entendez jamais ; il n’est personne, en effet, qui voulût blâmer un tyran en sa présence. — Mais, crois-tu donc, dit Hiéron, que cette absence de critique soit agréable, quand on est convaincu que le silence couvre de sinistres pensées contre le tyran ? Et quel charme y a-t-il dans la louange, quand on soupçonne les louangeurs de n’agir que par flatterie ? — Par Jupiter, je conviens avec toi, Hiéron, dit Simonide, que les louanges les plus agréables sont celles des hommes libres ; mais, vois-tu, jamais tu ne convaincras personne que vous ne trouviez plus de jouissances que les autres dans les plaisirs de la table. — Je sais bien, Simonide, que beaucoup de gens se figurent que nous prenons plus de plaisir à manger et à boire que les particuliers. Ils croient qu’ils trouveraient plus délicieux les mets qu’on nous prépare que ceux qu’on leur sert, parce que ce qui est extraordinaire fait naître le plaisir ; et voilà pourquoi tout le monde attend avec joie les jours de fête, excepté les tyrans. « En effet, comme leurs tables sont toujours bien servies, les fêtes n’y ajoutent absolument rien ; ainsi, et tout d’abord, pour cette douceur de l’attente, ils sont au-dessous des particuliers, mais ensuite il est une chose que tu sais toi-même par expérience : c’est que plus il y a de mets au delà de ce qu’il faut, plus la satiété est prompte à vous gagner ; de la sorte, à ne considérer que la durée de la jouissance, celui qui a une table chargée est au-dessous de celui qui vit avec satiété. — Mais, par Jupiter, reprit Simonide, tant que le cœur en dit, on aime bien mieux se nourrir de mets somptueux que d’aliments tout simples. — Oui, mais ne crois-tu pas, Simonide, que quand on est