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de l’une et de l’autre. — J’ai observé, Hiéron, dit Simonide, que les particuliers ont le sentiment agréable ou désagréable des couleurs par les yeux ; des sons, par les oreilles ; des odeurs, par le nez ; du boire et du manger, par la bouche ; de l’amour, par où chacun sait. Quant au froid et au chaud, à la dureté et à la mollesse, à la légèreté et à la pesanteur, tout notre corps, à mon avis, est en état d’en juger les bonnes ou les mauvaises impressions. Les biens et les maux, ce me semble, ont tantôt pour effet de réjouir ou d’affliger l’âme seule, tantôt l’âme et le corps tout à la fois. Il me paraît encore que le sommeil nous cause une sensation agréable ; mais comment, où, quand, je déclare n’en rien savoir. Et de fait, il n’est pas surprenant qu’éveillés nous ayons des sensations plus distinctes que dans le sommeil. » À cela Hiéron répondit : « Pour ma part, Simonide, je ne saurais dire qu’un tyran éprouve quelque autre sensation en dehors de celles dont tu as parlé ; je ne sais donc pas jusqu’ici en quoi la vie d’un tyran diffère de celle d’un particulier. — Elle en diffère probablement, reprit Simonide, en ce que les tyrans, par chacun de ces organes, perçoivent beaucoup plus de plaisir et moins de douleur. — Mais il n’en va point de la sorte, Simonide, repartit Hiéron : sache bien, au contraire, que les tyrans ont beaucoup moins de plaisirs que les particuliers qui vivent dans une condition modeste, et qu’ils ont des douleurs beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus grandes. — Ce que tu dis est incroyable, reprit Simonide ; s’il en est ainsi, pourquoi tant de gens aspirent-ils à la tyrannie, et cela quand ils ont le bruit d’être des gens capables ? Comment tout le monde porte-t-il envie aux tyrans ? — Parce que tout le monde, ma foi, envisage la double condition, sans en avoir fait l’expérience. Pour moi, je vais essayer de te convaincre que je dis la vérité ; et je commencerai par la vue ; car c’est par là, si j’ai bonne mémoire, que tu as commencé toi-même. Et d’abord, en réfléchissant sur les objets qui frappent les yeux, je trouve que les tyrans sont les plus mal partagés. Chaque pays a ses raretés qui méritent d’être vues. Tandis que les particuliers se rendent soit à telles villes qu’il leur plaît pour jouir des spectacles, soit aux assemblées générales pour y voir ce que les hommes jugent le plus digne de leur curiosité, les tyrans n’ont qu’une bien faible part de ces divertissements. En effet, il n’est pas sûr pour eux d’aller où ils ne seraient pas plus forts que les assistants, et leurs affaires ne sont jamais assez bien établies chez eux, pour qu’ils