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tout, et qui a l’âme d’un homme, en un mot de l’Amour, serait-il juste de ne pas nous en entretenir, vu que nous faisons tous partie d’un thiase en l’honneur de ce dieu ? Pour moi, je ne puis citer aucune époque de ma vie où j’aie vécu sans aimer : je sais que Charmide, ici présent, a eu de nombreux soupirants et qu’il a soupiré lui-même ; que Critobule, encore aimé, est encore aimant. On m’a dit même que Nicératus est l’amant de sa femme qui le paye de retour. Quant à Hermogène, qui de nous ignore que l’honnêteté, sous quelque forme qu’elle se présente, le passionne et le consume ? Ne voyez-vous pas ces sourcils austères, ce regard fixe, ces discours mesurés, cette voix douce, ces manières affables ? Quoiqu’il ait pour amis les dieux vénérés, il ne nous dédaigne pas, nous autres hommes. N’y a-t-il donc que toi, Antisthène, qui n’aimes personne ? — Par tous les dieux, reprit Antisthène, je t’aime de tout mon cœur. » Alors Socrate raillant et faisant le renchéri : « Ne me dérange pas en ce moment, dit-il ; tu le vois, je m’occupe d’autre chose. — Ohé ! l’entremetteur, reprit Antisthène, comme tu exerces bien ton métier ! tantôt c’est ton démon qui t’empêche de converser avec moi ; tantôt c’est parce que tu es à la piste d’une idée. — Au nom des dieux, Antisthène, dit Socrate, ne m’obsède pas ; j’ai déjà supporté ton humeur et je la supporterai toujours en ami ; mais dissimulons ton amour, puisqu’il n’en veut pas à mon âme, mais à ma beauté. Pour toi, Callias, tu aimes Autolycus ; toute la ville le sait, et aussi, je pense, bon nombre d’étrangers. La cause en est que vos pères sont gens bien connus, et que tous deux n’êtes point sans renommée. Quant à moi, j’ai toujours admiré ton heureux naturel, Callias, mais à présent bien plus encore, puisque je te vois aimer un jeune homme qui, loin de languir dans les plaisirs et de s’oublier dans la mollesse, fait preuve aux yeux de tous, de vigueur, de patience, de courage et de sagesse. La recherche de semblables amours prouve l’excellent naturel de celui qui aime[1]. N’y a-t-il qu’une seule Vénus ou bien deux, la Vénus Uranie et la Vénus Pandème[2] ? Je l’ignore : car Jupiter, qui sans doute est seul, a lui-même tant de noms ! Mais ont-elles leurs autels et leurs temples distincts ? offre-t-on à la Vénus Pandème des sacrifices moins relevés, et à la Vénus Uranie

  1. Il y a là quelque difficulté de texte. J’ai suivi Weiske et Dindorf.
  2. Platon établit la même distinction dans son Banquet, VIII. Cf. Lucien, Amours, 42 ; Déesse syrienne, 32 ; Pseudolog., 11 ; Maître de rhétorique, 25 ; Dialog. des courtisanes, XVII, 1.