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— Ignores-tu donc, dit Antisthène, que tous les rapsodes savent par cœur ces deux poëmes ? — Comment l’ignorerais-je, quand je les entends presque tous les jours ? — Connais-tu pourtant une engeance plus inepte que celle des rapsodes ? — Ma foi, je n’en vois guère, dit Nicératus. — Il est bien évident, dit Socrate, qu’ils ne comprennent pas le sens des vers[1] ; mais toi qui as donné beaucoup d’argent à Stésimbrote[2], à Anaximandre[3] et à quelques autres[4], pour en savoir les passages les plus estimés. Et toi, Critobule, continua-t-il, qu’est ce qui te rend fier ? — La beauté. — Comment, tu prétends donc avec ta beauté nous rendre meilleurs ? — Oui, et si j’échoue, il est clair que je suis le dernier des hommes. — Et toi, Antisthène, de quoi es-tu fier ? — De ma richesse, » dit-il. Hermogène lui ayant demandé s’il avait beaucoup d’argent, celui-ci jura qu’il n’avait pas une obole. « Mais tu as beaucoup de terres ? — À peu près ce qu’il en faudrait à Autolycus pour se rouler dans la poussière[5]. — Écoutons aussi ce que tu vas dire, Charmide : et toi qu’est-ce qui te rend fier ? — Moi, c’est ma pauvreté ! — Par Jupiter, dit Socrate, voilà une chose aimable. Elle n’est nullement sujette à l’envie ; elle ne soulève pas de disputes, on la conserve sans gardien, et en la négligeant on la fortifie. — Et toi Socrate, dit Callias, quel est l’état qui te rend fier ? » Alors Socrate se faisant un visage plein de gravité : « Celui d’entremetteur[6], » dit-il. Tout le monde éclatant de rire : « Vous riez, dit-il, mais moi je suis sûr que ce métier me vaudrait beaucoup d’argent, si je voulais m’en servir. — Pour toi, dit Lycon à Philippe, il est certain que tu te piques de faire rire. — À plus juste titre, je crois, que le comédien Callippide, qui se vante insolemment d’arracher des larmes à un grand nombre de spectateurs. — Et toi, Lycon,

  1. Cf. Mém., IV, ii, et l'Ion de Platon.
  2. Tout porte à croire qu’il s’agit ici de Stésimbrote de Thrase, dont il est question dans Plutarque, Vies de Thémistocle, de Cimon et de Périclès, et sur lequel on peut consulter les Historiens grecs de Vossius, p. 43, édit. Westermann. — Cf. l'Ion, Platon, chap. ii, p. 296 de l’édition spéciale de Stalbaum.
  3. Sur Anaximandre, voyez également Vossius, Hist.gr., p. 54 de la même édition.
  4. Par exemple Métrodore de Lampsaque, Glaucon on Glaucus de Rhegium. Voy. les notes de Stalbaum sur le chapitre ii de l'Ion de Platon.
  5. Voy. Lucien, Anacharsis, particulièrement, 2, 8, t. II, p. 195 de notre traduction.
  6. Le mot grec μαστροπεία, employé par Socrate, a une signification dont le français n’ose pas rendre toute l’énergie.