Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

magistrats. » Alors Socrate : « Tu railles toujours, dit-il, et tu cherches à nous ravaler, parce que tu as prodigué l’argent à Protagoras, à Gorgias[1] et à tant d’autres pour leurs leçons de sagesse, tandis que tu vois en nous des gens réduits à tirer leur philosophie de leur propre fonds. — Jusqu’ici, répondit Callias, je vous cachais que j’avais beaucoup de belles choses à vous dire ; mais aujourd’hui, venez chez moi et je vous prouverai que je mérite bien quelques égards. » Socrate et ses amis commencèrent naturellement par le remercier de son invitation, mais ils ne promirent pas de s’y rendre. Cependant lui voyant un air tout fâché de ce refus, ils finirent par le suivre ; puis, les uns s’étant exercés et parfumés, et les autres baignés, ils entrèrent. Autolycus était assis auprès de son père ; les autres prirent la place qui leur convenait.

Un simple coup d’œil jeté sur le groupe eût fait comprendre que la beauté a de soi quelque chose de royal, surtout lorsqu’elle s’unit, comme alors dans Autolycus, à la pudeur et à la modestie. Telle qu’une lumière qui, brillant soudain dans la nuit, fixe tous les regards, ainsi la beauté d’Autolycus attirait sur lui tous les yeux. Des convives qui le contemplaient, il n’en était aucun dont l’âme ne fût émue : les uns étaient silencieux, les autres faisaient quelque geste. Tous ceux qu’un dieu possède attirent l’attention ; et quand c’est toute autre divinité, ils ont le regard terrible, la voix effrayante, les mouvements violents ; mais quand c’est l’amour chaste qui les inspire, leurs yeux deviennent aimables, leur voix se fait douce, et leurs gestes pleins de noblesse. Callias, en agissant de la sorte sous l’influence de l’amour, attirait l’attention de ceux qui sont initiés aux mystères de cette divinité. Cependant les convives dînaient en silence, comme par ordre d’un personnage supérieur.

Le bouffon Philippe, ayant frappé à la porte, prie l’esclave qui vient à sa rencontre d’annoncer qui il est, et pourquoi il demande à être introduit : il dit qu’il se présente muni de tout ce qu’il faut pour souper aux dépens des autres, que son esclave est très-mal à son aise de ne rien porter et d’être encore à jeun. Callias, à ces mots : « Certes, dit-il, ce serait grande honte, mes amis, de ne pas lui donner au moins un abri : qu’il entre donc ! » Et en même temps il regardait Au-

  1. Protagoras et Gorgias, deux sophistes de renom, que Platon a immortalisés par le titre de deux de ses dialogues.