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les fois que j’ai annoncé à bon nombre de mes amis les desseins du dieu, jamais je n’ai été pris en délit de mensonge. »

En entendant ces mots, les juges murmurèrent, les uns n’accordant aucune confiance à ce qu’il disait, les autres jaloux des préférences que les dieux lui accordaient. Socrate continua : « Eh bien donc apprenez encore autre chose, afin que ceux qui le désirent aient un motif de plus pour ne pas croire à la faveur dont les divinités m’ont honoré. Un jour que Chéréphon interrogeait sur moi l’oracle de Delphes, en présence de beaucoup de personnes, Apollon répondit qu’il n’y avait pas un homme plus sensé, plus indépendant, plus juste et plus sage que moi[1]. »

À ces mots, les juges, ainsi qu’on devait s’y attendre, firent entendre un plus grand murmure ; Socrate reprit : « Cependant, citoyens, le dieu s’est exprimé dans ses oracles, au sujet de Lycurgue, le législateur des Lacédémoniens, dans des termes plus magnifiques que pour moi. On dit, en effet, qu’au moment où Lycurgue entrait dans le temple, il lui dit : « Je ne sais si je dois t’appeler un dieu ou un homme. » Moi, l’oracle ne m’a pas comparé à un dieu, mais il a dit que je l’emporte de beaucoup sur les autres hommes. Quant à vous, n’en croyez point trop légèrement le dieu, mais pesez bien chacune de ses paroles. Connaissez-vous un homme qui soit moins que moi asservi aux appétits du corps ; un homme plus indépendant, moi qui ne reçois de personne ni don, ni salaire ? Et qui donc pourriez-vous raisonnablement considérer comme plus juste qu’un homme qui s’est accommodé à sa fortune présente, au point de n’avoir jamais besoin de ce qui est aux autres ? Pour la sagesse, comment pourrait on équitablement en placer un autre au-dessus de moi, qui, du moment où j’ai commencé à comprendre la langue humaine, n’ai jamais cessé de rechercher et d’apprendre tout ce que je pouvais de bien ?

« La preuve que mes travaux n’ont pas été stériles, ne vous paraît-elle pas évidente dans la préférence empressée qu’un grand nombre de citoyens et même d’étrangers, épris de la vertu, mettent à se rendre auprès de moi ? Quel est, en outre, dirons-nous, le motif pour lequel tant de gens, qui savent que je suis trop pauvre pour rendre, désirent cependant m’envoyer quelque présent ? Et, tandis que personne ne peut dire que je lui ai demandé un service, d’où vient que tant de gens avouent

  1. Cf. Platon, Apolog., v et suivants.