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CHAPITRE XVI.


De la nature du terrain. Moyens de la reconnaître.
Des travaux relatifs à la jachère[1].


« Et d’abord, Socrate, me dit-il, je veux te démontrer qu’il n’y a point la moindre difficulté dans ces finesses qu’attribuent à l’agriculture ceux qui en dissertent merveilleusement en paroles, mais qui n’y entendent rien en pratique. Ils vous disent que, pour être bon agriculteur, il faut commencer par connaître la nature du sol. — Ils ont raison, repris-je, de parler ainsi : car, si l’on ne sait pas ce qu’un terrain peut porter, on ne saura pas, je crois, ce qu’on doit semer ou planter. — Mais, répondit Ischomachus, on acquiert même sur le terrain d’autrui la connaissance de ce qu’il peut porter ou non, en voyant les fruits et les arbres ; et, une fois cette connaissance acquise, il ne faut plus aller contre la volonté des dieux. Ce n’est point en plantant ou en semant suivant nos besoins que nous obtiendrons de meilleures récoltes, c’est en examinant ce que la terre aime à produire et à nourrir. Si, par suite de la négligence de ceux qui la possèdent, elle ne montre pas ce qu’on peut tirer d’elle, souvent la terre du voisin donnera des renseignements plus précis que le voisin lui-même. Même en friche, elle indique encore sa nature : car un terrain qui donne de beaux produits sauvages peut, avec des soins, donner de beaux produits cultivés ; et voilà comment la nature d’un terrain peut être reconnue par ceux même qui ne sont pas du tout versés dans l’agriculture. — Dès ce moment, Ischomachus, repris-je, je me sens quelque confiance ; je ne dois pas renoncer à l’agriculture par la crainte de mal juger la nature de la terre. D’ailleurs je songe aux pêcheurs, qui, dans leurs courses maritimes, ne s’arrêtent point par curiosité et ne se ralentissent jamais, et qui, tout en longeant les côtes, à la seule inspection des fruits que produit la terre, n’hésitent point à déclarer que telle terre est bonne et telle autre mauvaise, mais blâment celle-ci et vantent celle-là ; et je vois qu’en général les agriculteurs habiles jugent ainsi de la bonté d’une terre.

  1. On ne peut douter que Virgile n’ait eu ce chapitre sous les yeux quand il écrivait le Ier livre des Géorgiques. Cf. particulièrement à partir du vers 50.