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parle-moi maintenant de tes propres fonctions, afin que tu aies le plaisir de te rappeler tes titres à l’estime publique, et moi celui d’apprendre et de connaître à fond, si je puis, les devoirs d’un citoyen beau et bon ; je t’en saurai un gré infini. — Par Jupiter ! répondit Ischomachus, c’est de grand cœur, Socrate, que je vais poursuivre en t’exposant ce que je suis, afin que tu me redresses, si je ne te parais pas bien agir. — Moi, te redresser ? lui dis-je ; eh ! comment le pourrais-je, toi, l’homme beau et bon par excellence, tandis que je passe pour un conteur de fadaises, un mesureur d’air, et qu’on me jette à la tête la plus sotte des accusations, le surnom de pauvre[1]. Cette accusation, Ischomachus, m’aurait mis au désespoir, sans la rencontre que je fis dernièrement du cheval de l’étranger Nicias : voyant que tout le monde le suivait pour le considérer, entendant qu’on ne tarissait pas sur ses louanges, je m’approchai de l’écuyer et lui demandai si ce cheval avait une grande fortune. Sur cette question, l’écuyer me regardant comme un homme qui n’est pas sain d’esprit : « Comment, dit-il, un cheval aurait-il de la fortune ? » Pour moi, je m’en allai baissant la tête en apprenant qu’il est permis à un cheval, même pauvre, d’être bon, quand il a un bon naturel. Comme il ne m’est pas non plus défendu d’être homme de bien, raconte-moi entièrement ce que tu fais, afin que, si je puis m’instruire à ton école, je m’applique dès demain à marcher sur tes traces ; car chaque jour est bon, ajoutai-je, pour commencer l’étude de la vertu. — Tu badines, Socrate, dit Ischomachus ; je vais néanmoins te raconter tout ce que je m’efforce de faire pour bien passer la vie.

« Convaincu que jamais les dieux n’ont permis que le succès fût assuré aux hommes qui ne connaissent point leurs devoirs, ni les soins qu’ils ont à prendre pour l’accomplir, et qu’à ceux même qui sont prudents et actifs, tantôt ils accordent la réussite, tantôt ils ne l’accordent pas, je commence, moi, par rendre hommage aux dieux, et je m’efforce de mériter par mes prières la santé, la force du corps, l’estime de mes concitoyens, la bienveillance de mes amis, l’avantage d’être à l’abri durant la guerre, une fortune honorablement acquise. » Et moi, en l’entendant : « Tu as donc soin, Ischomachus, de t’enrichir, et, une fois à la tête d’une grande fortune, tu prends les soins nécessaires pour la gérer ? — Aucun soin ne m’agrée plus, reprit

  1. Cf. Maxime de Tyr, Disc, XXXIX, qui dit de Socrate : « Laid, obscur et de basse naissance, pauvre, fils d’un statuaire, camus, ventru, bafoué dans les comédies, jeté en prison et mourant où était mort un Timagoras ! »