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point la complexion d’une vie sédentaire. » Alors Ischomachus se mettant à sourire à propos de l’occupation qui lui méritait le titre de beau et de bon, et satisfait, du moins à ce qu’il me parut : « Qu’on me donne ce nom, Socrate, dit-il, quand on te parle de moi, je n’en sais rien ; mais quand il s’agit de me faire venir pour l’échange d’une charge de triérarque ou de chorége[1], personne ne cherche le beau et le bon, mais on m’appelle simplement par mon nom, Ischomachus, comme mon père. Pour répondre maintenant à ce que tu me demandais ensuite, Socrate, je ne reste jamais à la maison : car, ajouta-t-il, pour toutes les affaires du ménage, j’ai ma femme qui est parfaitement en état de les diriger. — Mais alors, Ischomachus, lui dis-je, j’éprouverais un grand plaisir à savoir si c’est toi qui, par tes leçons, as rendu ta femme ce qu’elle est, ou bien si tu l’as reçue de son père et de sa mère tout instruite de ses devoirs. — Eh ! Socrate, comment aurais-je pu la recevoir tout instruite ? Elle n’avait pas quinze ans quand elle entra chez moi ; elle avait vécu tout ce temps soumise à une extrême surveillance, afin qu’elle ne vît, n’entendît et ne demandât presque rien. Pouvais-je souhaiter plus, dis-le-moi, que de trouver en elle une femme qui sût filer la laine pour en faire des habits, qui eût vu de quelle manière on distribue la tâche aux fileuses ? Pour la sobriété, Socrate, on l’y avait tout à fait bien formée ; et c’est, à mon avis, une excellente habitude pour l’homme et pour la femme. — Et sur les autres points, Ischomachus, lui dis-je, est-ce encore toi dont les leçons ont rendu ta femme capable des soins qui la regardent ? — Oui, par Jupiter, dit Ischomachus, mais non pas avant d’avoir offert un sacrifice et prié le ciel de m’accorder à moi la faveur de bien l’instruire et à elle celle de bien apprendre ce qui pouvait le mieux assurer notre bonheur commun. — Ta femme, lui dis-je, sacrifiait donc avec toi et adressait au ciel les mêmes prières ? — Assurément, dit Ischomachus ; même elle promettait solennellement, à la face des dieux, de rester toujours ce qu’elle devait être, et je voyais bien qu’elle serait docile à mes leçons. — Au nom des dieux, lui dis-je, Ischomachus, que commenças-tu donc à lui apprendre. Raconte-le-moi[2] ; j’écouterai ton

  1. Lorsqu’un riche Athénien, requis pour une prestation publique, répondait par un refus, parce que son bien ne lui paraissait pas suffisant, il en désignait un autre plus riche que lui et auquel on allait alors s’adresser. Cette désignation, que suivait un échange, s’appelait ἀντίδοσις.
  2. Cette phrase se trouve dans les fragments de Cicéron : « Quid igïtur, proh Deum immortalium, primum eam docebas, quœso ? » (Donat, notes sur le Phormion de Térence, acte II, scène iii, v. 4.)