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ayant un jour remarqué que la même profession laisse les uns tout à fait pauvres et rend les autres tout à fait riches, cette singularité me parut mériter d’être approfondie ; et l’examen me fit trouver qu’il n’y avait rien là que de naturel. Je vis que ceux qui exercent au hasard ces professions ne manquent pas d’y perdre, tandis que ceux qui raisonnent et combinent avec soin arrivent à un gain plus prompt et plus facile. Je crois qu’à pareille école, si tu le veux, et si la divinité n’y met point obstacle, tu pourras devenir un excellent faiseur d’affaires. »


CHAPITRE III.


Socrate conseille à Critobule d’examiner la conduite de ceux qui gèrent bien ou mal leurs affaires. Principes qu’il doit tirer de cet examen.


En entendant ces mots, Critobule reprit : « À présent, certes, je ne te laisserai point aller, Socrate, que tu ne m’aies donné les leçons promises en présence des amis que voici[1] — Eh bien, Critobule, dit Socrate, si d’abord je te montre des gens qui construisent avec beaucoup d’argent des maisons incommodes, tandis que d’autres, avec beaucoup moins, se bâtissent des demeures où ils trouvent tout ce qu’il faut, est-ce que cela seul ne te paraîtra pas une leçon d’économie ? — Tout à fait, Critobule. — Et maintenant, si je te fais voir, ce qui en est une suite, des gens qui possèdent une infinité d’ustensiles de toute espèce sans pouvoir s’en servir au besoin, sans savoir s’ils sont en bon état, et qui, à cause de cela, se tourmentent sans cesse et sans cesse tourmentent leurs serviteurs ; si je t’en fais remarquer d’autres qui, n’ayant pas plus et même ayant moins d’ustensiles que les premiers, les ont toujours tout sous la main lorsqu’ils veulent s’en servir ? — La raison, Socrate, n’en est-elle pas que chez les uns tout est jeté pêle-mêle, tandis que chez les autres chaque chose est à sa place ?

  1. Socrate avait toujours autour de lui quelques amis qui écoutaient ses conversations, sans y prendre part. Il est évident que Xénophon, sans se mettre en scène, et sans figurer comme interlocuteur, a dû entendre presque tous les dialogues qu’il a rapportés dans ses Mémoires. Ce n’était point une règle de discipline qui imposait le silence à ces confidents, comme chez les disciples de Pythagore, mais un sentiment de déférence et de respect pour le maître.