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de la méditation, ou que lui révèle cette vue spontanée de la conscience, cette sorte d’intuition mystérieuse, qu’on appelle son démon familier. L’enseignement de Socrate se trouvant donc tourné vers un but éminemment pratique, on ne doit point s’étonner des procédés didactiques qu’il emploie. Bien qu’il n’échappe pas toujours au reproche de subtilité, et qu’il tombe parfois dans les distinctions raffinées qu’il combattait à outrance chez les sophistes, son système, ou plutôt sa méthode, arme future de Ramus et de Descartes pour attaquer la scolastique, est toute d’expérience et d’application. Pour lui la théorie ne cesse jamais d’être subordonnée aux exigences impérieuses de l’action et de la vie quotidienne. Aussi n’écrit-il rien : il cause, il discute en plein air, sur l’agora, dans les palestres, sous les portiques, dans l’atelier du peintre Parrhasius, du statuaire Cliton, de l’armurier Pistias, dans l’échoppe du cordonnier Simon, et jusque dans le boudoir d’une courtisane : admirables entretiens, inimitables causeries où se déploient cette abondance de parole vive, animée, pleine de laisser-aller et de raison, cette finesse de raillerie, cette élégance de manières, cette urbanité délicate que les anciens avaient appelée atticisme, comme un fruit naturel du seul terroir d’Athènes.

Mais ne croyons point que, sous ces dehors d’une conversation abandonnée et familière, il ne se cache un enseignement fécond et solide. Socrate ne pratique point pour lui seul la maxime inscrite en lettres d’or sur le temple d’Apollon : « Connais-toi toi-même ! » Accoucheur des esprits, suivant sa propre parole, son expérience se plaît à leur venir en aide dans l’enfantement de leurs pensées, et il les initie à la découverte et à la production logique et suivie de ces vérités, dont tous les hommes ont en eux le germe, et que la plupart sont si malhabiles à dégager des ténèbres de leur intelligence. Il éveille, en quelque manière, les idées assoupies de son interlocuteur ; il affecte d’être ignorant comme lui, pour le faire remonter par degrés à des principes certains, à des notions nécessaires et évidentes ; il fait naître le doute dans son âme,