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vif par un crayon fidèle, qu’anime une admiration sincère, une affection filiale et dévouée. Tandis que Platon, entraîné par la force irrésistible de son génie, emporte la pensée de son maître vers ces hauteurs célestes, d’où Cicéron félicitait Socrate d’avoir fait descendre la philosophie, Xénophon se contente de le suivre dans des régions plus voisines de la terre, plus accessibles à l’humanité. Platon, si je puis parler ainsi, part de Socrate pour s’élever à l’idéal : l’idéal de Xénophon, c’est Socrate lui-même. Aussi, comme il s’étudie à rendre non-seulement les contours généraux, mais encore les linéaments les plus fins, les lignes les plus déliées de cette physionomie souriante, parfois railleuse, où s’épanouit, en dépit de la laideur, l’enjouement aimable du bon sens et l’inaltérable sérénité d’une bonne conscience ! Ce n’est pas le philosophe que nous voyons, c’est l’homme : il vit, il parle, mais, avant tout, il instruit : nul autre soin ne l’occupe ni ne le détourne : son enseignement fait partie de son existence ; il dirige, il corrige, il éclaire, il réforme ; le juste, le vrai, la perfection morale, telle qu’il est donné à l’homme de la poursuivre et de l’atteindre ici-bas, voilà le fond de toutes ses pensées, la matière de tous ses entretiens. Jamais il ne se perd dans les profondeurs de la métaphysique ; jamais il ne se laisse ravir aux séductions d’une imagination brillante : non qu’il dédaigne la poésie avec son cortège d’ingénieuses fictions et son harmonieux langage ; mais ce ne sont point les ailes du poète qu’il envie et qu’il emprunte : le vers n’est à ses yeux qu’une forme plus arrêtée, qu’une expression plus puissante de la vérité morale. En général, il ne demande à Homère que des sentences, et il cite de préférence Solon et Théognis.

Ainsi, la véritable vocation de Socrate, c’est l’instruction de ses semblables. Déclaré le plus sage des hommes par l’oracle de Delphes, il ne garde point, comme un avare, ses trésors de sagesse et de raison ; il les répand au dehors ; il communique à tous les découvertes psychologiques, les règles de bien vivre que lui suggère l’habitude constante