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thydème, quel est l’homme qui pourrait en avoir moins que l’intempérant ? car rien n’est plus opposé aux actes de la prudence que ceux de l’intempérance. — Je suis encore de cet avis. — Penses-tu qu’il y ait rien qui détourne plus des devoirs que l’intempérance ? — Rien, selon moi. — Quand un vice nous fait préférer le nuisible à l’utile, rechercher l’un et négliger l’autre, quand il nous force à tenir une conduite opposée à celle des sages, peut-il en être de plus funeste pour l’homme ? — Aucun assurément. — N’est-il donc pas naturel que la tempérance soit pour les hommes la cause d’effets contraires à ceux de l’intempérance ? — Oui, sans doute. — N’est-il pas également clair que la cause de ces effets contraires doit être excellente ? — Certainement. — Il faut donc croire, Euthydème, que la tempérance est pour l’homme le plus précieux de tous les biens ? — On n’en saurait douter, Socrate. — Mais, Euthydème, as-tu jamais songé à ceci ? — Qu’est-ce donc ? — Que l’intempérance, tout en paraissant ne pouvoir nous mener qu’à l’agréable, est cependant incapable de nous y conduire, tandis que la tempérance nous procure les agréments les plus vifs. — Comment cela ? — Le voici : l’intempérance ne nous permettant pas d’endurer la faim, la soif, les désirs amoureux, l’insomnie, qui nous font seuls trouver des charmes à manger, à boire, à aimer, à nous reposer, à dormir, besoins qui, par l’attente et la privation, ne font qu’augmenter le plaisir ; l’intempérance, dis-je, nous empêche d’éprouver une vraie douceur à satisfaire ces appétits nécessaires et continuels : la tempérance, au contraire, seule capable de nous faire endurer les privations, est aussi la seule qui nous permette de jouir encore par la mémoire des plaisirs dont nous avons parlé. — Tout cela est parfaitement vrai. — De plus, apprendre ce que c’est que le beau et le bien, se livrer à quelqu’une de ces études qui enseignent à bien gouverner son corps, à diriger sagement sa maison, à se rendre utile à ses amis et à son pays, et à vaincre ses ennemis, toutes qualités qui non-seulement sont utiles, mais qui procurent de très-grandes jouissances : tels sont les avantages pratiques que recueillent les hommes tempérants, et dont les intempérants sont exclus. Qui mérite moins, en effet, de les obtenir, que celui qui n’a pas la liberté d’agir ainsi, à cause de la préoccupation et de l’empressement qui l’entraînent à des jouissances faciles ? » Alors Euthydème : « Il me semble, Socrate, que, selon toi, l’homme maîtrisé par les plaisirs des sens est tout à fait incapable d’aucune vertu. Quelle différence