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CHAPITRE II.


Socrate force Euthydème, jeune homme qui se croyait très-sage, à faire l’aveu de son ignorance.


Comment Socrate attaquait ceux qui pensaient avoir reçu une très-bonne éducation et qui étaient fiers de leur sagesse, c’est ce que je vais maintenant raconter. Sachant que le bel Euthydème[1] avait fait une nombreuse collection d’ouvrages de poëtes et de sophistes les plus renommés, qu’il croyait, pour cette raison, l’emporter déjà en sagesse sur ceux de son âge, et qu’il espérait les surpasser tous par son éloquence et par ses actions ; ayant remarqué d’ailleurs que, trop jeune encore pour se rendre à l’assemblée[2], il allait, lorsqu’il voulait s’occuper de quelque affaire, s’asseoir chez un fabricant de brides, voisin de l’agora, Socrate y vint aussi, accompagné de quelques-uns de ses amis.

Et d’abord, l’un d’eux lui ayant demandé si c’était au commerce d’un sage ou à la nature seule que Thémistocle devait une telle supériorité sur ses concitoyens, que la république tournait les yeux vers lui dès qu’elle avait besoin d’un homme de mérite, Socrate, qui voulait piquer Euthydème, répondit que ce serait une sottise de croire qu’il est impossible de devenir habile dans les arts les plus vulgaires sans les leçons d’un bon maître, et que la science la plus importante de toutes, celle du gouvernement, se produise spontanément chez les hommes.

Une autre fois, Socrate s’apercevant qu’Euthydème, qui était présent, s’éloignait et évitait de s’asseoir auprès de lui, afin de ne pas avoir l’air d’admirer sa sagesse : « Cet Euthydème que vous voyez, mes amis, dit-il, dès qu’il sera en âge, et que la cité proposera quelque délibération, ne manquera pas de donner son avis ; c’est une chose évidente d’après ses études. Il me semble aussi qu’il tient tout prêt quelque bel exorde pour ses harangues, en homme qui se garde bien de paraître rien ap-

  1. Jeune Athénien, fils de Dioclès, qu’il ne faut pas confondre avec le sophiste Euthydème de Chio.
  2. On ne pouvait prendre part aux affaires publiques qu’à partir de l’âge de vingt ans.