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CHAPITRE VII.


Il engage Charmide, homme d’une grande modestie, à s’occuper des affaires publiques.


Voyant que Charmide, fils de Glaucon[1], homme plein de mérite et de beaucoup supérieur à tous les politiques du temps, n’osait ni paraître devant le peuple, ni s’occuper des affaires de l’État : « Dis-moi, Charmide, lui dit Socrate, si quelqu’un était capable de gagner les couronnes dans les jeux, de se rendre ainsi glorieux lui-même et sa patrie plus illustre dans la Grèce, et que pourtant il refusât de combattre, comment jugerais-tu un pareil homme ? — Il est clair que ce serait un efféminé et un lâche. — Et si un citoyen capable, en s’adonnant aux affaires publiques, d’agrandir sa patrie et de se couvrir lui-même de gloire, refusait de le faire, ne serait-on pas en droit de le traiter de lâche ? — Peut-être ; mais pourquoi me fais-tu cette question ? — Parce qu’il me semble que, malgré ton mérite, tu recules devant les affaires, et cela, quand tu dois y prendre part en ta qualité de citoyen. — Mais ce mérite, dit Charmide, en quelle circonstance l’as-tu reconnu, pour avoir de moi cette opinion ? — Dans tes entretiens avec nos hommes politiques : car, s’ils te communiquent quelques affaires, je vois que tu leur donnes de bons conseils, et que, s’ils font des fautes, tu les reprends justement. — Ce n’est pas la même chose, Socrate, de s’entretenir en particulier ou de discuter en public. — Cependant, ceux qui savent calculer, calculent aussi bien en public que tout seuls, et ceux qui, tout seuls, savent parfaitement jouer de la cithare, conservent en public leur supériorité. — Oui ; mais la honte et la timidité, ne vois-tu pas qu’elles sont innées chez certains hommes et qu’elles se manifestent bien plus dans les assemblées tumultueuses que dans les réunions privées ? — Eh bien, je veux t’apprendre que ce ne sont pas les plus sages qui te font honte, ni les plus puissants qui te font peur, mais que tu rougis de parler devant les moins éclairés et les plus faibles. N’est-ce pas, en effet, devant des foulons, des cordonniers, des maçons, des

  1. C’est-à-dire de Glaucon l’Ancien. Voy. la note 1 de la page 80.