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en effet, ce bruit. — Aussi, tandis qu’il se faisait un grand nombre d’émigrations dans la Grèce, ceux de l’Attique demeurèrent sur leur territoire ; les nations qui disputaient ensemble de leurs droits, s’en remettaient à leur jugement, et nombre de gens opprimés par de plus forts se réfugiaient auprès d’eux. » Alors Périclès : « Je m’étonne, Socrate, que notre ville ait ainsi décliné. — Pour moi, je pense, reprit Socrate, que de même qu’on voit certains athlètes, qui l’emportent de beaucoup sur d’autres par la supériorité de leurs forces, s’abandonner à la nonchalance et descendre au-dessous de leurs adversaires, de même les Athéniens, se sentant supérieurs aux autres peuples, se sont négligés et ont dégénéré. — Et maintenant, que pourraient-ils faire pour recouvrer leur ancienne vertu ? » Alors Socrate : « Il n’y a point ici de mystère ; il faut qu’ils reprennent les mœurs de leurs ancêtres, qu’ils n’y soient pas moins attachés qu’eux, et alors ils ne seront pas moins vaillants ; sinon, qu’ils imitent du moins les peuples qui commandent aujourd’hui, qu’ils adoptent leurs institutions, qu’ils s’y attachent de même, et ils cesseront de leur être inférieurs ; qu’ils aient plus d’émulation, ils les auront bientôt surpassés. — Tu veux dire que notre république sera longtemps encore loin de la vertu. Quand, en effet, les Athéniens sauront-ils, à l’exemple des Spartiates, respecter la vieillesse, eux qui, en commençant par mépriser leurs pères, méprisent ainsi les vieillards ? Quand s’exerceront-ils de la même manière, eux qui, non contents de négliger leur propre vigueur, tournent en ridicule ceux qui en font l’objet de leurs soins ? Quand obéiront-ils aussi à leurs gouvernements, eux qui se font gloire de les mépriser ? Quand auront-ils le même accord, eux qui, au lieu de travailler à l’intérêt commun, ne cherchent qu’à s’entre-nuire, et sont plus jaloux les uns des autres que du reste des hommes ? Mais le pire de tout, c’est qu’on les voit, divisés dans les réunions particulières et dans les assemblées publiques, s’intenter plus de procès que partout ailleurs[1], préférer un gain prélevé sur autrui à une aide réciproque, traiter les affaires de l’État comme si elles leur étaient étrangères, en faire l’objet de leurs luttes et se plaire à y employer toutes leurs forces. De là cette grande incapacité, cette malignité qui envahit la république ; de là ces discordes et ces haines mu-

  1. Aristophane s’est plu en divers endroits de ses pièces à railler l’esprit chicanier et processif des Athéniens.