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CHAPITRE II.


Un bon général doit veiller à la conservation et au bien-être de ceux qu’il a sous ses ordres.


Rencontrant un jour un homme qui venait d’être élu stratège : « Pourquoi, lui dit-il, à ton avis, Homère appelle-t-il Agamemnon pasteur des peuples[1] ! N’est-ce pas parce que, semblable à un pasteur qui veille à ce que ses brebis soient en bonne santé, qu’elles aient tout ce qu’il leur faut, un général doit veiller à ce que ses soldats soient en bonne santé, qu’ils aient tout ce qu’il leur faut et soient placées dans les conditions pour lesquelles ils sont soldats ? Or, ils sont soldats pour que leurs triomphes sur les ennemis augmentent leur bonheur. Ailleurs[2], lorsque Homère loue Agamemnon, en disant :

Il était à la fois bon prince et bon guerrier,


n’est-ce pas parce qu’il était bon guerrier, non-seulement en combattant seul avec courage contre les ennemis, mais en communiquant son courage à l’armée tout entière, et bon prince, non-seulement en se procurant à lui-même les biens de la vie, mais en assurant le bonheur de ceux dont il était roi ? En effet, un roi est élu, non pour veiller uniquement à son bien-être personnel, mais pour la prospérité de ceux qui l’ont choisi ; tous ceux qui se font soldats veulent s’assurer une vie heureuse, et, s’ils choisissent des généraux, c’est pour avoir quelqu’un qui les conduise à ce but. Il faut donc que le général procure le bien-être à ceux qui l’ont élu ; et il serait difficile de trouver rien de plus beau que l’accomplissement, rien de plus honteux que l’oubli de ce devoir. » C’est ainsi qu’en recherchant quel devait être le mérite d’un bon général, Socrate faisait abstraction de tout le reste, et ne lui laissait d’autre objet que de rendre heureux ceux qu’il commande.

  1. Iliade, I, 263 ; II, 243, etc. Cf. Cyropédie, VIII, ii.
  2. Iliade, III, 479.