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CHAPITRE VII.


Il vaut mieux exercer un métier que d’être à charge aux siens ou que de vivre dans la misère et dans l’oisiveté.


Quand ses amis se trouvaient dans l’embarras par ignorance, il essayait de les en faire sortir par ses conseils ; lorsque c’était par pauvreté, il leur enseignait à se secourir, autant que possible, les uns les autres. Je dirai aussi ce que je sais de lui à ce sujet. Voyant un jour Aristarque[1] plongé dans la tristesse : « Tu m’as l’air, Aristarque, lui dit-il, d’avoir quelque chose qui te pèse ; il faut partager le fardeau avec tes amis ; peut-être trouverons-nous moyen de te soulager. — Ma foi, Socrate, répondit Aristarque, je suis dans un grand embarras : depuis que la ville est en sédition[2] et qu’un grand nombre de citoyens se sont retirés au Pirée, mes sœurs, mes nièces, mes cousines, qui se trouvaient abandonnées, se sont sauvées chez moi, si bien que nous sommes à la maison quatorze personnes de condition libre : nous ne retirons rien de la terre, car les ennemis en sont devenus maîtres, ni de nos maisons, puisque la ville est presque sans habitants ; personne n’achète de meubles, on ne trouve nulle part à emprunter de l’argent ; c’est au point qu’il serait plus facile, en cherchant, de rencontrer de l’argent dans la rue, qu’un prêteur qui vous en fournît. Il est bien triste, Socrate, de voir autour de soi des parents dans la détresse ; il est impossible de faire vivre tant de monde, dans de pareilles circonstances. » À ces mots Socrate : « Comment se fait-il donc, dit-il, que Céramon[3], qui a aussi beaucoup de monde à nourrir, suffise non-seulement à leurs besoins et aux siens, mais mette encore de l’argent de côté et qu’il s’enrichisse, tandis que toi, parce que tu as plusieurs personnes à faire vivre, tu as peur que vous ne périssiez tous faute du nécessaire ? — C’est, ma foi, parce qu’il nourrit des esclaves, et moi des gens libres. — Lesquels

  1. Personnage qui n’est pas autrement connu.
  2. Au moment de la chute des Trente tyrans et des tentatives de Thrasybule pour rendre la liberté à Athènes. Cf. Helléniques, II, iv.
  3. Céramon était propriétaire d’esclaves qu’il faisait travailler à divers métiers.