Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de dire qu’il faut enchanter les hommes par des paroles telles que les louanges qu’ils entendent ne leur paraissent pas une raillerie. Autrement, nous nous ferions un ennemi, et nous serions repoussés si nous allions près d’un homme qui se sait petit, laid et faible, lui dire pour le louer qu’il est beau, grand et vigoureux. Mais connais-tu quelques autres enchantements ? — Non ; mais j’ai entendu dire que Périclès en possédait beaucoup, dont il se servait pour se faire aimer de ses concitoyens. — Et Thémistocle, comment a-t-il fait pour gagner leur amitié ? — Par Jupiter, ce n’est pas avec des enchantements, mais en les entourant de ses bienfaits. — Tu veux dire sans doute, Socrate, que, si nous voulons acquérir un bon ami, nous devons être également honnêtes en paroles et en actions ? — Croyais-tu donc, dit Socrate, qu’un méchant homme pût se procurer des amis vertueux ? — C’est que j’ai vu, dit Aristobule, de méchants rhéteurs amis d’orateurs distingués, et des hommes sans connaissances militaires liés intimement avec les plus habiles généraux. — Eh bien, pour revenir à notre propos, connais-tu aussi des hommes inutiles, qui aient été capables de se faire des amis utiles ? — Non, par Jupiter ; mais, s’il est impossible au méchant de se lier d’amitié avec des gens honnêtes, je suis en peine de savoir s’il est facile, étant honnête soi-même, de trouver des amis parmi les hommes vertueux. — Ce qui t’embarrasse, Critobule, c’est que tu vois souvent des gens qui font le bien et qui s’abstiennent du mal, loin d’être amis, s’attaquer les uns les autres et se traiter plus indignement que ne feraient les derniers des hommes. — Et il n’y a pas, dit Critobule, que les particuliers qui agissent ainsi ; mais les villes, même celles qui ont le plus d’amour pour tout ce qui est beau et le plus d’horreur pour tout ce qui est honteux, sont fréquemment en guerre les unes contre les autres. Lorsque j’y songe, je désespère tout à fait de pouvoir acquérir des amis : je vois que les méchants ne peuvent s’aimer entre eux ; et, en effet, comment des êtres ingrats, négligents, cupides, sans foi et sans frein, pourraient-ils devenir amis ? Aussi je pense que les méchants sont faits pour se haïr plutôt que pour s’aimer. De plus, comme tu le dis toi-même, les méchants ne sauraient former avec les bons un concert amical : car, quelle amitié possible entre ceux qui font le mal et ceux qui le détestent ? Mais si les hommes mêmes qui pratiquent la vertu se divisent pour les premières places dans les cités, si la jalousie les