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Mais, Socrate, quel est donc l’homme que nous devons rechercher pour ami ? — Celui, je pense, qui a les qualités contraires, maître de ses appétits sensuels, fidèle à ses serments, accommodant en affaires, plein d’émulation à ne pas rester en arrière avec ceux qui lui font du bien, mais à servir qui le sert. — Comment donc, Socrate, reconnaître en lui ces qualités, avant de le mettre à l’épreuve ? — Pour juger les statuaires, dit-il, nous ne nous eu rapportons point à leurs paroles ; mais si nous en voyons un qui ait déjà exécuté de belles statues, nous nous en fions à lui pour la bonne exécution des autres. — Veux-tu donc dire que, si un homme s’est bien conduit avec les amis qu’il a déjà eus, il est évident qu’il se conduira de même avec ceux qu’il aura dans la suite ? — Oui ; un écuyer que j’aurais déjà vu bien conduire des chevaux me semblerait capable d’en bien conduire d’autres. — Soit ; mais, lorsqu’un homme nous a paru digne de notre amitié, comment nous en faire un ami ? — Avant tout, dit Socrate, il faut consulter les dieux et voir s’ils nous conseillent de nous en faire un ami. — Eh bien, reprit Critobule, si notre choix est confirmé par le consentement des dieux, peux-tu me dire comment il faut se mettre à la chasse de notre ami ? — Par Jupiter, ce ne sera ni à la piste comme le lièvre, ni à la pipée comme les oiseaux, ni de force comme des ennemis : car de prendre un ami contre son gré, c’est une rude affaire : il est difficile de le retenir, même avec des liens, comme un esclave ; de pareils traitements nous feraient des ennemis plutôt que des amis. — Comment donc nous faire des amis ? — On dit qu’il y a certaines paroles magiques, qui, lorsqu’on les sait et qu’on les prononce, nous font des amis de qui nous voulons ; qu’il y a des philtres dont la connaissance sert à se faire aimer de qui l’on veut. — Où irons-nous apprendre ces recettes ? — Les paroles enchanteresses que les Sirènes adressaient à Ulysse, Homère te les a dites ; elles commencent à peu près ainsi[1] :

Approche, illustre Ulysse, honneur des Achéens !


— Mais Socrate, n’est-ce donc pas là le chant magique à l’aide duquel les Sirènes retenaient les autres hommes et les empêchaient de se dérober à leurs séductions ? — Non ; ce chant ne s’adressait qu’aux seuls amis de la vertu. — Tu m’as l’air

  1. Odyssée, XII, v. 184.