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valeur, ne doit pas être mis en vente et vendu ; mais je vois qu’on ne vend jamais les bons esclaves, et qu’on n’abandonne jamais les bons amis. »


CHAPITRE VI.


Ce qu’il faut faire pour choisir et gagner des amis.


Il me semblait encore, à propos des qualités qu’on doit chercher dans ses amis, donner des conseils pleins de sens, lorsqu’il parlait ainsi : « Dis-moi, Critobule[1], si nous avions besoin d’un bon ami, que faudrait-il considérer d’abord ? Avant tout, ne devrions-nous pas chercher un homme qui sût commander à son ventre, à son amour de la boisson, à la lubricité, au sommeil, à la paresse ? Car celui qui obéit à tous ces penchants ne saurait rien faire d’utile ni à lui-même ni à un ami. — Par Jupiter, il en est incapable. — Il te semble donc qu’il faudrait s’éloigner d’un homme asservi par de telles passions ? — Tout à fait. — Mais quoi ! celui qui aime la dépense, qui ne peut se suffire à lui-même, qui toujours a besoin des autres, qui ne peut rendre si on lui prête, qui se fâche si on ne lui prête pas, ne serait-ce pas aussi, à ton avis, un ami fort incommode ? — Assurément. — Il faudrait donc encore s’éloigner d’un tel homme ? — Il faudrait s’en éloigner. — Et maintenant, celui qui sait augmenter sa fortune, mais qui désire entasser de grandes richesses, et qui, par cela même, se montre difficile en affaires, aime à recevoir et ne veut rien rendre ? — Celui-là, dit Critobule, me paraît encore pire que le précédent. — Eh bien, celui qui a la passion de thésauriser, et qui n’a jamais d’autre préoccupation que de savoir par où gagner ? — Il faut aussi s’en éloigner, ce me semble ; car il serait inutile à un ami. — Et maintenant, le querelleur, qui veut faire à ses amis une foule d’ennemis ? — C’est un homme à fuir, par Jupiter ! — Mais l’homme qui, sans avoir aucun de ces défauts, se laisse faire du bien, sans songer à payer de retour ? — Celui-là aussi serait inutile.

  1. C’était l’aîné des deux fils de Criton, que Platon a mis en scène dans le dialogue de ce nom. Criton se préoccupait beaucoup de l’éducation de ses enfants, et craignait de leur faire étudier la philosophie, à cause de la mauvaise réputation des sophistes.