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bureau, mit soigneusement la date sous l’adresse imprimée : Auchen Crag, St-Fillans, Pertshire ; mais non, elle n’était pas disposée, elle écrirait demain. Ce mal qu’elle savait connu de tous, cette fatale laideur dont l’idée l’avait empêchée depuis tant d’années de goûter pleinement un plaisir, jamais elle ne s’était résignée à l’avouer à personne. Elle sentait bien que chacun, en la voyant, y pensait comme elle, et dans le ton des paroles qu’on lui adressait, elle s’ingéniait à découvrir un reflet de cette pensée maudite. Il lui semblait même parfois qu’elle aurait un soulagement à trouver une confidente, cette Jane Barkhead, par exemple, sa compagne d’autrefois.

Peut-être celle-là qui, elle non plus, faute d’argent, ne se marierait jamais, peut-être trouverait-elle une consolation qui saurait la calmer, ou bien même un mystérieux moyen de la guérir de sa laideur, ce moyen qu’elle s’acharnait à vaguement attendre ! Pourtant elle ne pouvait se forcer à dire ce qui la torturait. Elle avait écrit : My dearest Jane, et elle restait là, les mains immobiles,