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d’avenir, une rêverie coupée de regrets sans raison, de soudaines envies de rire ou de pleurer.

Par degrés, dans son esprit à présent plus calme, une idée se dessina, toujours plus distincte, sans qu’elle y prît garde, jusqu’à ce qu’enfin elle l’aperçût devant elle toute formée, avec quelque chose de pressant qui appelait une réponse. Il lui sembla que John Morris ne l’aimait pas d’amour, que c’était impossible. N’aurait-il pas demandé sa main que parce qu’il croyait ne pouvoir trouver mieux ou bien à cause de sa petite dot, ou de la clientèle de son père ?

Mais alors pourquoi ne s’était-il pas adressé à sa sœur aînée ? Non, c’était une idée folle ; et tout en se confirmant dans cette consolante certitude, Kate songeait que les prévenances de John avec les intervalles de froideur qui les séparaient, peut-être elle aurait dû y voir les efforts du jeune homme pour vaincre une première répugnance, pour s’accoutumer à elle. Des détails qu’elle n’avait pas écoutés, dans le discours de sa mère, mais qu’elle se rappelait à présent, indiquaient bien quelque chose de pareil, comme si John lui-même avait donné à entendre qu’il ne faisait pas son offre par amour. Qu’importait donc l’amour ? Avait-elle le droit d’être si exigeante, et de la part d’un homme qu’elle-même se sentait tant de peine à aimer ?