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NOS MAÎTRES

paisible et charmante de trois couples. Voici d’abord le motif, un air vif et léger, exposé, durant trois mesures par la première voix. La seconde voix le reprend plus développé, et le motif est repris encore par la troisième voix, complété encore. Alors les deux premières voix, abandonnant les contre-sujets où elles s’amusaient, abordent la première coda de la fugue : c’est la ronde générale, l’épanouissement achevé du sujet qui s’éploie en des notes brillantes et concises. Puis, les voix se désunissent : elles cherchent des attitudes nouvelles, tantôt les quittent après un instant, tantôt s’y attardent, par d’adorables modulations. Elles se jalousent, elles s’invitent à reprendre la danse commune. Puis, la première voix redit le motif, les deux autres y répondent ; et la coda reparaît, entraînant les couples, qui bientôt se séparent à nouveau, variant sans cesse la forme de leurs allures ; les divertissements s’épandent, leur vivacité s’accroît ; la douce sauterie est poursuivie durant les dernières mesures ; enfin, les trois voix se rejoignent sur la tonique, et enfin se taisent. Mais quelles paroles diraient les élégances délicates, les spirituelles musiques si brèves et si précises, courant sans arrêt au travers de ces pages !

Au contraire de son glorieux rival Haendel, plus puissant encore que lui et d’un génie plus pur, mais qui apparaît plutôt comme le dernier représentant de la musique du moyen âge, Sébastien Bach a créé la musique moderne ; il lui a donné les émotions qu’elle devait exprimer, et la langue où elle les devait exprimer. Et ce sont les mêmes