Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée
53
L’ART WAGNÉRIEN

à la littérature un langage aujourd’hui perdu.

Pour qu’un littérateur puisse faire des mots nouveaux, et les faire compréhensibles, il faut que la grammaire et la langue soient rigoureusement fixées, et que les mots existants gardent un sens précis. Or. un usage immodéré du métier d’écrire a privé la langue française de ces deux vertus. Afin de rendre plus aisés nos hâtifs reportages, nous avons substitué à la grammaire logique un amas de routines et d’incorrections. Le sujet, l’attribut, nous avons mis ces choses aux mêmes cas : nous avons adopté une syntaxe ridicule, oii s’étale, innombrable et monstrueuse, l’exception. Que l’on invente un mot nouveau : la phrase sort des phrases habituelles, et nous cessons de comprendre, faute d’une syntaxe logique, assignant aux termes, dans les phrases, la place même qu’ils occupent dans la pensée. — Mais la misère la plus cruelle de notre langue est l’abolition des significations précises, la pestilente invasion des synonymes et des métaphores. Le mot est une image : à chaque mot doit répondre une image, une notion nette, unique. Or, pour la rapidité de notre parole, nous avons atténué à l’infini cette vision des sens attachés aux mots. Les termes ne sont plus des images, dans notre esprit, mais nous suggèrent tout au plus de lointains fantômes d’images. Qui de nous se demande, en écrivant, ce que représente chacun des termes qu’il emploie ? De là plusieurs mots admis à un même sens, dans l’effacement de leur sens précis : de là, des phrases d’une incohérence stupéfiante : « Il s’est oublié jusqu’à s’em-