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NOS MAÎTRES

comte de Villiers de l’Isle-Adam, magicien des mots, sans égal pour nous suggérer, par des liaisons de syllabes, la joie harmonieuse d’une émotion vivante.

Ainsi une littérature nouvelle s’est — par les lois mêmes des formes artistiques — constituée avec les procédés de la littérature notionnelle ; et comme une couleur, aujourd’hui, peut diversement suggérer une sensation ou une émotion, de même les syllabes de nos mots sont ensemble les signes de notions et d’émotions. Ce sont deux arts, ayant les mêmes moyens : deux littératures toutes différentes, mais également précieuses pour la destination commune de tous les arts. Car la littérature des notions et la littérature musicale recréent des modes différents de la vie, mais de la même vie.

Telle fut — trop brièvement esquissée — l’évolution de l’art littéraire. Que serait, dans ces conditions, la littérature wagnérienne ? Elle serait à poursuivre l’œuvre conciliatrice de Wagner. N’entendons-nous point la voix aimée du Maître, et qu’elle nous dit : « Tous les arts ont une fin commune ; tous ne valent que s’ils y travaillent. Littérateurs, comprenez l’effort de vos devanciers : ils ont employé leurs âmes à créer une meilleure vie : poursuivez leur tâche en créant la vie que peuvent concevoir vos âmes nouvelles ! J’ai tenté la création totale de la vie, par l’union des arts ; mais les arts n’étaient point prêts : vous les préparerez. Vous ne dédaignerez aucun mode de la vie, parmi ceux dont est capable la littérature. La vie est un enchaînement d’idées sensibles et abstraites, se pro-