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NOS MAÎTRES

Dans cette naissance d’une musique nouvelle, les rythmes acquirent une valeur avant les syllabes ; et la littérature latine nous fait voir une éloquence toute musicale et rythmique, insoucieuse des notions sises sous les mots, employant les cadences, les prolongements et les césures des phrases, à la façon de périodes mélodiques, destinées à créer l’émotion. L’éloquence de Cicéron, de Salluste, de Tite-Live, fut ainsi une combinaison solennelle et puissante de rythmes verbaux.

Par la suite des âges, un pouvoir pareil de signification émotionnelle s’attacha aux syllabes des mots ; c’est un progrès tout comparable à celui de la musique pure, qui, d’abord, fut la mélodie, valant par les seuls rythmes et mouvements, et qui fut enfin l’harmonie, où chaque note (accord) acquit une force spéciale et propre d’émotion. Certaines âmes affinées connurent la tristesse alanguie et la brûlante joie de maintes syllabes ; elles y trouvèrent la notation d’émotions musicales, mais aussi différentes des émotions de la pure musique que des émotions produites par les procédés plastiques. Une harmonie des mots apparut possible, légitime : après la musique parlée des orateurs, naquit ia musique écrite des poètes.

Dois-je dire que ni Corneille, ni Molière, ni la plupart des écrivains en vers de notre siècle, ne furent vraiment des poètes ? Une convention les forçait à déformer leurs pensées pour les soumettre à un rythme fixe et inintelligent, à des rimes superllues. Dois-je dire encore que je n’attribue point