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NOS MAÎTRES

esprits, ce que valent aujourd’hui pour nous les œuvres des réalismes les plus scrupuleux.

Par des contes et des légendes naquit la littérature des Grecs. Et je ne crois pas qu’il faille chercher plus haut les origines de notre littérature. Les âmes antérieures ont créé une vie que nous sommes impuissants à reconstituer : leurs œuvres du moins n’ont pas, dès l’origine, contribué à la préparation des nôtres. Mais la Grèce antique, déjà fort civilisée, et tard venue dans l’humaine évolution, a été la terre privilégiée des lettres. Elle y a exercé un caractère spécial, qui s’est imprimé aux premiers contes même qu’elle nous a laissés.

Les Grecs, après les clameurs et les peines des premières batailles, avaient formé une race de raisonneurs, épris des notions claires et des enchaînements harmonieux. Ils n’avaient point des sensations vives, et n’étaient guère portés à l’émotion : nulle fougue passionnée ne secoue l’ordonnance tranquille de leurs discours, non plus que la froide sérénité de leurs faces. Leur esprit gardait un calme noble et sage ; ils ignoraient l’amour sentimental (la famille même), les fièvres cruelles des chagrins, et ces luttes pour vivre et ces impatiences qui sont les sources désormais principales de l’émotion dans nos cœurs. Au sortir des gymnastiques, ils s’amusaient à poursuivre, sans nul emportement, les subtils contours d’une discussion. Ils furent, sous la douce chaleur de leur ciel, le peuple de la pure dialectique.

Voici d’abord que des chanteurs pleins de belles paroles, — et ce fut Homère, — leur déclamaient les