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NOS MAÎTRES

toire. Les écrivains des générations précédentes avaient continué, dans la littérature, leur classe de rhétorique ; ceux de notre génération y ont continué leur classe de philosophie. Sous prétexte de romans, de poèmes, de drames, de comédies, ils nous ont offert des dissertations. Ils en sont même arrivés à ne plus écrire de romans, abandonnant ce vieux genre aux demoiselles et aux aligneurs de feuilletons. Depuis les débuts de M. Rosny et de M. Prévost, je ne crois pas qu’il nous soit venu un seul romancier. Et c’est à peine si l’on rencontrerait de loin en loin une misérable nouvelle, dans la foule de ces revues où accourent écrire, sitôt sortis du collège, tous les jeunes gens un peu épris de fortune ou de gloire.

On a perdu le goût de conter. Et ceux même qui en ont gardé le goût en ont perdu la manière. C’est que l’art de conter est peut-être, de tous, le plus méridional, je veux dire celui de tous qui s’accommode le moins de l’indécision et de l’obscurité. Pour raconter les faits, il faut d’abord les bien voir, et ce n’est point tâche facile quand on a du brouillard dans les yeux. Ce n’est point tache facile, non plus, quand on s’occupe trop de réfléchir et de disserter ; et rien n’est tel que de vouloir atteindre le fond des choses pour en négliger la surface. Les maîtres éminents qui, il y a dix ans, ont cru sauver le roman français en y introduisant l’analyse, l’ont en réalité perdu. Eux-mêmes, déjà, sous prétexte de le rendre plus profond, lui ont enlevé une part de lumière et de vie. Et puis d’autres sont venus qui ont achevé le désastre. Car, pour nous expliquer le