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LA RELIGION DE L’AMOUR ET DE LA BEAUTÉ

lecteurs à Paris que n’en ont trouvé jamais les pièces de M. Ibsen. Après avoir tant rides félibres, ou s’apprête à les admirer ; à peine si on ne les félicite pas de vouloir créer à Orange un Bayreuth français. Et l’on offre à M. Mistral la succession de Leconte de Liste à l’Académie.

Ainsi s’annonce une période nouvelle, dans l’évolution de l’esprit et du goût français. Période qui, sans doute, ne durera guère plus longtemps que la précédente : car je sens bien que le besoin de changement est, au fond, le seul besoin qui subsiste en nous. Mais c’est là un changement que j’ai trop désiré, et depuis trop longtemps, pour n’être point ravi des moindres signes qui l’annoncent. Oh ! si pendant dix ans, voire pendant dix mois, les artistes et le public pouvaient revenir à leurs habitudes anciennes ! Si nous pouvions espérer de nouveau des romans où il n’y ait point d’idées et où il y ait de la vie, des drames qui nous émeuvent sans nous donner à penser ! Si le symbole pouvait prendre congé de chez nous, et à sa place nous rendre l’image, l’image claire et précise, colorée et vivante, et qui d’un seul coup d’œil se laisse saisir tout entière ! Si les peintres pouvaient réapprendre à peindre, et les écrivains à écrire !

Et si les romanciers, pour m’en tenir à eux, pouvaient réapprendre à conter ! Car il n’y a point d’art qui se soit plus complètement perdu que celui-là, durant cette brumeuse période dont il me tarde d’entrevoir la fin. Dans l’empressement universel de nos jeunes écrivains à penser et à raisonner, personne ne s’est plus inquiété de savoir raconter une his-