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L’ART WAGNÉRIEN

Il fut angoissant et léger, connut le charme des fines mélancolies et l’emportement hautain des ivresses triomphales. À lui nous devons le plus vaste chef-d’œuvre de la peinture émotionnelle, cette biographie prétendue de Marie de Médicis, qui change une galerie de notre Louvre en un palais enchanté : un merveilleux mépris du sujet à décrire ; et la paradisiaque luxure deséblouissements, le halètement irréfléchi et turbulent de notre âme, comme sous les allegros finals de Beethoven, ou les triomphales et glorieuses musiques du dernier tableau des Maîtres Chanteurs. Avec Rembrandt, au contraire, une surnaturelle jouerie de lumières, créant une émotion à la fois plus inquiète et plus retenue. Puis Watteau fut le traducteur des tristesses élégantes : il consacra l’adorable grâce de ses dessins à des poèmes légers et doux, qui rappelleraient certains andante des quatuors de Mozart. Et Delacroix fut ensuite le lyriste de violentes passions, un peu vulgaires dans leur romantisme.

Tous ces maîtres ont prouvé que la peinture pouvait, avec un égal bonheur, être descriptive de sensations réelles, ou suggestive de réelles émotions. Ils ont senti, seulement, que ces deux tendances exigeaient deux arts différents, et qu’ilsdevaient choisir, suivant leur nature, l’un ou l’autre de ces deux arts. Aujourd’hui la nécessité d’un choix s’impose plus vivement encore. Et cependant les peintres, aujourd’hui plus que jamais, s’acharnent à confondre les deux peintures. Ils veulent être, ensemble, émouvants et descriptifs, représenter les choses qu’ils voient, et en même temps les embellir