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NOS MAÎTRES

phrase, il faut être revenu d’abord de mille choses plus attirantes, il faut avoir vécu jusqu’à se fatiguer de la vie. Aussi longtemps qu’on prend un intérêt réel à la lecture d’un journal, je ne crois pas que l’on puisse sentir la consolante douceur que verse dans les âmes la langue parfumée des poètes. Mais peu à peu l’on s’aperçoit que les affaires les plus importantes sont encore sans importance ; les pensées les plus neuves semblent encore trop vieilles ; et sous le sens des idées, qui s’efface peu à peu, se révèle l’immuable splendeur des images et des rythmes.

La poésie n’est pas un art de jeunesse. C’est, de tous les arts, celui qui nous apparaît le dernier, celui qui recueille, pour ainsi dire, dans les âmes un peu fatiguées, l’héritage de tous les autres. Les poètes eux-mêmes ont besoin de vieillir. Si deux ou trois semblent avoir apporté d’avance sur leurs lèvres une chanson pour nos cœurs, combien ont attendu de très longues années avant que la source enchantée jaillit enfin de leur bouche ! Voyez les plus chers de nos maîtres, Michelet, Renan ; ils avaient quarante ans lorsqu’ils se sont révélés poètes. Les pensées qu’on trouve dans les Dialogues philosophiques, elles sont toutes déjà dans l’Avenir de la Science ; mais, avec les années, au philosophe s’est ajouté un poète. Et Victor Hugo, et Musset lui-même, c’est l’âge qui les a faits poètes : dans les Orientales, dans les Poèmes d’Espagne et d’Italie. ils ont montré leur habileté de style, l’ardeur de leur passion ; mais combien il y a plus de poésie dans les Contemplations, dans ces fantaisies dra-