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L’ART WAGNÉRIEN

qu’elles représentaient. Nous avions toujours vu telle expression de la face, telle couleur ou tels contours accompagner tels objets qui nous inspiraient, pour d’autres motifs, telle ou telle émotion : voici désormais ces couleurs, et ces contours, et ces expressions, liés dans notre âme à ces émotions ; et les voici devenus non plus seulement les signes de sensations visuelles, mais les signes aussi de nos émotions ; les voici devenus, par le hasard de cette liaison, et comme les syllabes de la poésie, comme les notes de la musique, des signes émotionnels. Ainsi certains peintres ont pu abandonner la destination première de la peinture, qui était à nous suggérer les sensations précises des visions. Ils ont employé les couleurs et les lignes dans un pur agencement symphonique, insoucieux d’un objet visuel à peindre directement. Et aujourd’hui ces couleurs et ces lignes, procédés de la peinture, peuvent servir à deux peintures très diverses : l’une sensationnelle et descriptive, recréant la vision exacte des objets : l autre émotionnelle et musicale, négligeant le soin des objets que ces couleurs et lignes représentent, les prenant seulement comme les signes d’émotions, les mariant de façon à produire en nous, par leur libre jeu, une impression totale comparable à celle d’une symphonie.

Mais à quoi bon cette musique nouvelle ? Et la musique des sons ne suffirait-elle pas à traduire toute l’émotion ? Elle n’y suffirait nullement. Les poètes, les peintres symphonistes, créent bien des émotions, comme les musiciens : mais ils créent des émotions