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NOS MAÎTRES

près, de celles que prête M. Daudet aux médecins de ses Morticoles. Plusieurs parmi eux restent honnêtes et bons, comme ce Charmide et ce Dabaisse, qui dominent le roman de leurs nobles et touchantes figures. D’autres ont reconnu l’inanité de la soi-disant science qu’on leur a enseignée, et se résignent du moins à n’en pas abuser. Mais beaucoup aussi sont affolés d’orgueil, ou d’ambition, ou d’avidité. Et il y en a encore qui sont affolés de science : ce sont les plus dangereux, ceux qu’il était le plus urgent de nous faire haïr. Il faut les voir, dans le livre de M. Daudet, sacrifiant la santé et la vie de leurs clients à leur manie d’expériences, à leur imperturbable foi en Dieu sait quelles formules, nées d’hier, et qui sont assurées de périr demain. Tous les jours ils inventent quelque nouveau remède qui se trouve, en fm de compte, ne guérir personne ; et tous les jours ils inventent quelque nouvelle maladie, dont on dirait que le germe ensuite se répand avec le nom.

Et, malgré leurs remèdes et leurs maladies, les médecins sont en passe de devenir les maîtres du monde. Déjà on hésite à mal parler d’eux ; il y faudra bientôt autant de courage qu’il en fallait, à Venise, pour médire des membres du Conseil des Dix. N’avez-vous pas frémi, comme je l’ai fait, l’autre jour, en lisant dans les journaux l’histoire de cet interne téméraire qui, pour épargner la santé d’un malade, avait osé résister à l’un quelconque des Princes de la Chirurgie, et remplacer l’emploi de je ne sais quel coutelas par l’emploi, décidément anti-scientifique, d’un simple cataplasme ? L’audace du