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NOS MAÎTRES

coulée totale. Ce sont alors les émotions, la passionnante angoisse et la fébrile joie, états suprêmes et rares de l’esprit ; elles sont, encore, un tourbillon confus de couleurs, de sonorités et de pensées : et puis un éblouissement devant ce vertige.

Ces trois modes de la Sensation, de la Notion, et de l’Émotion, constituent toute la vie de notre âme. Aussi l’Art, recréation volontaire et désintéressée de la vie, a-t-il toujours, — et c’est toute son histoire — tenté une reconstitution esthétique de ces trois modes vitaux.


La sensation est le mode initial : les premiers arts eurent pour objet la sensation. Mais les sensations sont diverses, il y a les odeurs, et les sons, et les saveurs, et les résistances. Fallait-il affecter à chacun de ces groupes un art spécial ? Un seul, l’art plastique, a suffi pour tous. Car, longtemps avant la naissance de l’art, les diverses sensations s’étaient associées ; nos sens avaient acquis la propriété de s’appeler les uns les autres, et l’un d’eux surtout, la vue, avait obtenu merveilleusement cette fonction suggestive.

Sous l’effet d’une lente habitude, nos sensations visuelles sont devenues capables d’évoquer en nous, par leur seule présence, toute la grappe des autres sensations. Il a suffi désormais à l’homme de voir des couleurs pour percevoir, sans autre secours, le relief et la résistance, et aussi la température, et l’odeur, et le son des objets.

Les premiers artistes n’ont donc pas eu besoin de recréer au moyen d’artifices spéciaux les diverses