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QUESTIONS D’ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE

métier nouveau, et d’en changer à chaque œuvre nouvelle. Ils ont encore perdu le goût, l’amour du style, le sentiment de cette proportion et de cette mesure qui font la seule beauté : tout à la préoccupation d’inventer du nouveau, ils ont négligé de s’assurer si les choses nouvelles qu’ils inventaient étaient belles en outre, et capables de plaire encore quand on n’en serait plus étonné. Le public, de son côté, a perdu non seulement le goût de la beauté et du style, mais jusqu’à la faculté daimer les œuvres d’art. Devant des œuvres toujours à l’inverse les unes des autres, il a été ahuri, déconcerté ; tout moyen lui a manqué de se faire une opinion personnelle : si bien qu’il se contente aujourd’hui de hausser les épaules à tout ce qu’on lui offre, de rire, d’ignorer ; quitte à admirer, de confiance, un quart d’heure tous les ans, le tableau, l’opéra, le roman, qui font le plus de bruit dans les journaux à la mode.

Je veux bien reconnaître que, en échange de ce qu’il a perdu, l’art contemporain a beaucoup gagné : mais, si l’on me demandait au juste ce qu’il a gagné, je serais en peine de le dire. Parmi les écrivains et les peintres qui ont débuté depuis dix ans, en particulier, il y en a beaucoup qui apportaient de réels, de solides, de précieux talents ; en d’autres temps, sous un régime artistique plus sage, ils auraient pu bien faire ; mais la plus grande part de leur talent s’est usée dans cette recherche à outrance de la nouveauté, que leur imposait leur temps ; et à leurs meilleures œuvres il manque encore cette tranquille aisance, cet air