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M. ANATOLE FRANCE

M. France n’aime guère non plus le soi-disant progrès qu’ont amené les sciences : il y voit une cause désormais constante de misère et d’abrutissement. Le téléphone elles ascenseurs ne le consolent pas de tant de besoins nouveaux qu’ils ont déchaînés dans l’humanité. Il appelle la civilisation « une barbarie savante ». Et il avoue, en fin de compte, que les étoiles sont plus belles à voir quand on a le bonheur d’oublier leurs noms.

Ainsi le trait dominant de la philosophie de M. France est une extrême méfiance à l’égard de toute pensée. L’intelligence, suivant lui, aurait été détournée de sa destination naturelle. Pour avoir essayé de connaître, et d’atteindre à une vérité qui n’était pas son fait, elle est devenue fâcheuse et nuisible ; tandis qu’elle aurait pu rester inoffensive si on avait voulu la réserver seulement à de petits jeux sans malice, tels que les mathématiques, l’esthétique, la spéculation sur les substances et les causes. Jamais, vous le voyez, Pascal ni le comte Tolstoï n’ont si profondément rabaissé l’esprit humain. Et je trouve l’expression la plus parfaite de cette philosophie anti-intellectualiste de M. France dans ces lignes de son livre, les dernières que je vais demander la permission de transcrire :

« Je sais une petite fille de neuf ans, plus sage que les sages. Elle me disait tout à l’heure : « On voit dans les livres ce qu’on ne peut pas voir en réalité, parce que c’est trop loin ou parce que c’est passé. Mais ce qu’on voit dans les livres, on le voit mal, et tristement. Et les petits enfants ne doivent pas lire de livres. Il y a tant