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NOS MAÎTRES

C’est encore une des conclusions qu’on peut tirer du Lys rouge. M. France y a montré le néant des préoccupations intellectuelles, l’inanité de la réflexion, et combien c’est peu de chose que les pensées les plus belles, en comparaison d’un sentiment d’amour naturel et profond. Les discours des plus beaux esprits, toutes les jouissances de la vie, de l’art et de l’intelligence, Mme Martin a cela autour d’elle ; et, mieux faite que personne pour savoir en jouir, elle en souffre plutôt comme d’ennuyeuses contraintes. Un regard de Dechartre la touche plus profondément que les plus subtils paradoxes de Paul Vence, ou les plus élégantes explications de miss Bell. Car l’intelligence n’est rien devant l’amour, et l’esprit devient un gênant fardeau dès que le cœur se réveille.

Tel est, pour moi, le sens de ce beau roman. Et par là il se rattache au reste de l’œuvre de M. France. Parmi les écrivains de notre temps, personne n’a plus constamment, et en plus de façons, montré l’absolue vanité de ce qu’on nomme rintelligence. Tantôt il nous l’a fait voir comme un jeu sans portée, un passe-temps délicat dont on peut user en toutes manières. D’autres fois, il lui a opposé la beauté plus haute d’une âme naïve et d’un cœur charitable. Et j’ai eu un grand bonheur à voir qu’en abordant le roman mondain, il n’avait pas renoncé à son* ancienne conception de la vie. Dans le milieu intellectuel et raffiné où il