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NOS MAÎTRES

bienfaisant du rêve et de l’illusion poétiques : plus proche de moi que Michelet, souriant et passionné comme Dickens, avec le charme supplémentaire d’un tour de phrase parfaitement beau.


C’est un dimanche matin, sous les galeries de l’Odéon, que j’ai appris à l’aimer. J’étais sorti du collège avec l’énorme somme de trois francs, miraculeusement préservée à travers la semaine, et que je me promettais d’employer, suivant le goût de mon âge, à toute sorte de plaisirs et de dissipations. Mais le même hasard qui m’avait conduit sous les galeries de l’Odéon me fit ouvrir, parmi tant de livres étalés, un petit livre jaune d’assez chétive mine, Les Désirs de Jean Servien. C’était, je crois, le premier roman de M. France ; jamais, en tout cas, je n’avais lu rien de lui. Je savais seulement qu’un auteur de ce nom avait fait des préfaces pour des éditions de Racine et de La Fontaine ; je ne doutais pas aussi qu’il n’y eût mis des notes, et je me l’imaginais comme un professeur de collège érudit et ambitieux, ce qui, dans ces temps anciens, n’était point pour me le rendre cher. Mais il me suffit de lire quelques pages de son livre pour me sentir aussitôt pénétré de cette légère et profonde délice qui, aujourd’hui encore, se dégage pour moi de tous ses écrits. J’achetai le roman : ce qui me dispensa de déjeuner et de dîner ce jour-là, sans compter d’autres réjouissances très impatiemment espérées. Etendu sur un